Le cadeau d'anniversaire
30 mars 2006
presque à Melun, automne 2005, quand il faisait encore beau.
L'homme au téléphone avait une voix fort douce et chaleureuse. Je ne le connaissais pas ; du moins ne l'avais jamais rencontré.
Dés qu'il se présenta, je sus qui il était : celui qui depuis des années rendait une amie heureuse. Copine d'une vie antérieure, partie loin de la ville pour satisfaire un rêve qui l'avait laissée seule, jusqu'à la rencontre avec celui qui aujourd'hui m'appelait, lui qui de moi ne savait que l'existence car nous voyageons peu.
Il m'exposa sans détour l'objet de son appel, mon amie, sa femme, allait atteindre d'âge une nouvelle dizaine, il voulait que la fête lui soit inoubliable. Bien sûr, de tout mon coeur je souhaitais participer, un peu honteuse à l'idée que mes tracas quotidiens déjà lourds aient failli me faire oublier que sa date approchait.
Il se proposait pour les lointains géographiques dont je faisais partie de rassembler à une adresse précise les cadeaux postaux afin de les offrir au moment de la fête.
L'idée de cadeau, je l'avais déjà. J'avais repéré, je ne sais plus comment, qu'un auteur qui m'était sympathique, rencontrait grande gloire et mesurait désormais ses apparitions publiques, se déplaçait pour signature au fin fond de la banlieue sud pour moi si éloignée. Je savais que mon amie, qui écrit par ailleurs et sait dire les contes, aimerait son écriture d'humour et douce humanité.
Mon affection pour la dame aux livres de grandes et larges ventes remontait du temps de son premier ouvrage, que j'avais découvert en pionnière et conseillé à tant d'autres, fière ensuite d'un succès auquel cette précocité me donnait l'illusion d'avoir contribué. Quand on est simple lecteur, on a sa fierté. Nous nous étions ensuite en quelque sorte perdues de vue quand "Je l'aimais", les livres sont pour moi comme les films, mon plaisir n'est pas sans une part de confidentialité, de découverte personnelle. Ceux dont on me parle avant que je ne les voie me déçoivent souvent.
Qu'elle soit jolie compte peu pour moi, nombreuses sont les jeunes femmes aux cheveux éclaircis et qui écrivent, au visage avenant et au sourire prompt mais fragile de qui a su se tracer une vie sur mesure non sans efforts et sacrifices. Son regard trahit la vraie beauté. C'est cela qui m'importe. Sans l'avoir jamais vue, je le savais déjà.
Ce samedi d'octobre, j'ai donc renoncé à mes activités familiales et sportives, abandonné Stéphanot seul à sa piscine, et pris le RER et puis le RER et puis encore et puis plus loin jusqu'à ce sud parisien.
Il faisait beau. Presque encore chaud. J'ignorais alors combien l'hiver qui s'annonçait serait froid, long et glacial. J'avais de l'insouciance. Je croyais en l'amitié. Je crois toujours aux livres.
La rencontre fut agréable, fors la question pesante d'un journaliste local que je me fis un plaisir de combattre par une plus personnelle et bien plus adaptée. J'ai aimé d'Anna son regard de reconnaissance quand j'ai pris sur moi, pour elle, de la poser. J'en savais par avance, à présent je le confesse, la substance de la réponse ; je souhaitais juste offrir diversion.
Qu'elle a si bien saisie, au grand bonheur de l'assistance.
La séance de dédicaces, en revanche dura deux heures, mais je m'y attendais. Sans l'avoir jamais croisée je savais qu'elle prenait le temps pour chacun de quelques paroles, d'un échange amical et d'un mot personnel bien mieux que le "pour Proserpine, amitiés" dont tant se contentent. Je profitais, incorrigible, de la longue attente pour faire ma libraire : les 3 personnes qui m'entouraient ne repartirent pas sans au moins 4 références d'autres livres qu'elles pourraient aimer, compte tenu des goûts qu'elles m'avaient confiés et de leur attachement pour la femme dont elles attendaient patiemment le paraphe.
Mon tour vint, le sourire réciproque, une amitié sera possible quand mon existence sera réparée de mes erreurs passées et mes malheurs présents. J'expliquais de mon mieux l'histoire du cadeau, l'attention de l'homme tendre pour mon amie qu'il aimait. Elle aussi la trouva belle et soigna donc son texte, non sans sincérité. Je ne m'attardais pas, tant d'autres patientaient, et à l'aune de la mienne j'imaginais sa fatigue.
Il faisait déjà nuit, mais nous avions connu une bribe de bonheur. Je repris le chemin de la gare lointaine, regrettant juste qu'il soit trop tard pour saluer de mes amis qui habitaient la ville.
[photo : Yerres, bibliothèque municipale samedi 15 octobre 2005, juste après]
Ce billet est pour Traou dont le sien
m'a fait tant de bien. J'ai connu comme elle ces moments, rétrospectivement si étranges, où un malheur, pas nécessairement une mort mais une source de long chagrin, a déjà frappé sans qu'on le sache, et qu'on vit dans le bonheur d'un livre qui nous va bien, pensant à le partager avec qui l'on apprendra juste après que pour une violente raison on ne pourra plus.
Traou, Anna Gavalda n'avait pas "gentiment fait semblant", elle se souvenait, j'en suis certaine.