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Dégroupés

moi de mon téléfonino :  - Bonjour, je vous appelle de mon téléphone portable parce que depuis ce matin nous n'avons plus de tonalité sur notre ligne fixe, ni d'internet non plus (et pourtant nous avons tout bien payé nos factures comme il faut).

opératrice de France Télécom (après saisie de différentes infos d'identification) :

- C'est que nous n'êtes plus client chez nous, vous avez été dégroupés.

moi : - ???? Mais nous n'avons rien demandé à personne. Que peut-on faire ?

opératrice : - Il faudrait demander à votre opérateur ...

moi : - Euh mais notre opérateur c'est vous. A moins que vous puissiez nous dire qui nous a capturé.

opératrice : - C'est que je n'ai pas le droit. Bon alors il faudrait aller à votre agence demander qu'on vous reprenne.

[je résume parce que je suis sur une connexion d'emprunt et pas en forme pour traîner, mais dans l'ensemble c'est ça]

donc à dans plusieurs jours, si l'opérateur sauvage et mystérieux qui s'est emparé de notre ligne accepte de nous libérer !

CETTE NOTE N'EST PAS UNE FICTION

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La geôle

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Des années que tu y es, bientôt 20 en fait. Tu ne sais même plus de quoi on t'accuse, ni pourquoi on t'a condamné.
Tu n'es sans doute pas né là où il fallait.
   
Tu n'espérais plus en sortir, tu n'espérais plus rien. Quand elle est venue. Une de ces animations que l'on fait en prison, afin qu'on se tienne sage. Des gens de l'extérieur qui passent. Ca fait progressiste et social aussi. Après on rentre dans une cellule où on s'entasse à 6, avec le bordel que ça suppose, mais bon voilà, les prisonniers ont vu du beau monde, participé à quelque chose.
Tout le monde trouve ça bien.
 
Le bibliothécaire t'avait inscrit d'office. La bibli, tu y es tout le temps qu'on te laisse. Tu ne sais pas pourquoi, tellement c'est bizarre, tu as les livres dans la peau alors que d'où tu viens ça se fait pas. Plutôt des flingues, en fait.
Tu penses c'est génétique, un truc à la naissance et qui aurait foiré.
      
Alors tu la rencontres. Tu n'aurais jamais dû. Ca aussi c'est de l'accident. Toi en tôle. Elle en liberté, et en plus une bourgeoise. Elle parle de livres. Ecrire est son métier. Ses mots ressemblent à ceux qui te viennent dans ta tête et qu'à cause de ça tu te croyais fou. Et qu'autour de toi, quand tu en disais, personne ne comprenait. Déjà que bouquiner, en prison, c'est pas gagné. Ca énerve trop les regardeurs de télé, les joueurs de cartes qui te veulent en 4ème (ou en 5ème des fois), les violents qui cherchent la baston et toi t'es dans tes pages, tu te rends même pas compte de la provocation. Tu as plusieurs fois failli mourir.
Tu aurais bien voulu, dans le fond.
    
Vous avez sympathisé. Tu ne l'as pas cherché, tu crois pas. C'est venu comme ça. Elle s'est intéressée à ton cas. Il paraît que tu es une erreur judiciaire. Tu n'en sais plus rien : tu as renoncé depuis tellement longtemps.
   
Tu ne veux pas décevoir, en plus qu'au fond de toi tu as enfin moins froid. Tu as donc commencé à rassembler des papiers, des souvenirs, pris un vrai avocat. Il demande pour toi une réduction de peine. C'est mal vu.
 
Elle t'apprend à travailler, ne se rend pas compte des raclées que tu prends une fois dans ta cellule. Déjà les bouquins c'était pas évident, mais les papiers et que tu les noircisses avec tes inventions, ça passe pas. Ils te les arrachent, les déchiffrent pour se moquer, les crament parfois.
Et puis pour cantiner ça devient dur. Celui qui répartit les boulots possibles, des trucs chiants à mourir et mal payés mais qu'on gagne de quoi, les bouquins, il aime pas ça. Il t'a plus à la bonne, tu gagnes de moins en moins, le quotidien est pas facile.
         
Par ci par là, un pote te dépanne. Tu rends des services aux autres, tu leur écris des trucs, des demandes de ci ou de ça, ou des lettres vers ceux de l'extérieur et qu'ils ne savent pas faire. En échange, on te donne parfois de quoi tenir un peu. Tu aimes te sentir utile. Tu sais pas de quoi, mais ça console.
   
      
Elle ne vient pas souvent, mais revient toujours, parfois pour des parloirs alors que tu sais combien c'est difficile, surtout pour elle qui vient de loin et qui n'a pas de parenté ; avec un parloir, tu tiens une semaine au moral et parviens à bosser plus fort. Elle t'écrit aussi, paie en douce l'avocat, tu l'apprends plus tard, même si c'était très cher, que tu payais pas tout.
   
Ton travail avance, tu espères même pouvoir le lui remettre en mains propres, pour de vrai, si jamais ton élargissement est enfin accepté.
L'avocat dit, ça suit son cours.
   
C'est le jour. Celui de la décision. Tu as pas tout fini comme tu aurais voulu, les co-détenus ces derniers temps t'en ont beaucoup fait voir, et puis l'enfermement, la santé, à force s'esquinte. En attendant, tu as déjà pas mal de feuilles, tu vas enfin pouvoir lui dire qu'avec toi elle a pas tout perdu son temps, qu'en tôle c'est pas que des sales bougres, juste des trop-de-poisses, parfois.
   
Et puis voilà, c'est refusé. Tu sais pas pourquoi. C'est des raisons d'en haut.
Dans le couloir avant qu'on te remmène, tu la croises. C'est très vite, ils ne vous laisserons pas. Elle te dit qu'elle ne peut plus, qu'elle ne pourra plus venir, que c'est trop dur pour elle d'aller jusqu'en prison. Tu comprends le temps et le travail qui sont à protéger ; que ton monde est trop rude pour quelqu'un du sien, qu'on te laissera jamais sortir. Quoi que tu aies fait ou pas.
      
Tu as les papiers sur toi, ce que tu avais écrit, mais tu les lui passes pas. A cause des menottes peut-être.
 
   
Vous avez à peine le temps d'un adieu. Tu as de la reconnaissance, même si elle abandonne. C'était du courage, déjà jusque-là.
   
C'est fini. Les portes sont refermées. Ce bruit de mort qu'elles font. Quand elles se referment.
Tu es debout dans la cellule. Les autres sont plus ou moins pas là. Tu cherches à qui donner les textes. Tout ce travail doit pas être pour rien. Peut-être qu'il peut aider quelqu'un.
      
Tu cherches aussi une corde, une ceinture, un lacet, n'importe quoi, qui serait resté quelque part, échappé des fouilles. Ou des médocs. Les types, s'en gavent pour se calmer.
C'est quand ils sont rentrés, alors que tu fouillais, qu'ils te sont tombés dessus.
   
         
[oui je sais, c'est présomptueux de mettre un titre à Hubert Selby mais je n'y arrive pas, à en trouver un autre ; sans doute à cause d'une conversation avec Denis Bretin (auteur de "Le mort-homme", parmi d'autres titres)
       
cette note a été, entre autre, déclenchée par une expression lue chez Dangereuse Trilingue :
         
Je voulais également saluer l'ancienne manière de KMS : http://kill.me.again.free.fr/
probablement car je suis très heureuse qu'il ait trouvé son "je".
         
et puis oui, je pense à Cesare Battisti, même si je n'ai pas le niveau pour le dire bien]

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Le geste qui sauve

      
un vendredi soir, ailleurs qu'à Paris mais j'aime à penser que ça pourrait avoir lieu à Paris aussi
       
   
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Dans le métro. Il y a du monde mais pas trop. Je suis donc pour une fois assise.
Je pleure.
         
C'est une question de chimie, ou de thermodynamique, les chagrins sous l'effet d'un tout neuf et très beau se sont à mon insu transformés en élément liquide. Lequel déborde. Je n'en suis pas consciente. Ce sont des larmes calmes, puissantes et silencieuses.
La douleur intérieure est trop forte qui me coupe des perceptions physiques.
Je suis en deuil du meilleur de moi.
   
       
Elle est assise en face, une femme toute jeune aux traits asiatiques. Je ne l'ai pas vue. Je ne vois plus rien.
      
Sa présence se révèle lorsqu'elle me tend un paquet de mouchoirs en me les proposant.
   
J'en ai dans ma poche que par totale méconnaissance de mon état je n'ai pas sortis.
Mais j'accepte son geste avec gratitude, la remercie, essaie de répondre à son sourire par un sourire aussi.
      
Je dois m'entraîner, c'est un geste qui me sera difficile dans les années qui viennent et éventuellement me restent.
      
Au moment de quitter la rame, je la remercie à nouveau. Elle me sourit en retour et son regard dit "Tenez bon".
   
Après coup je me demanderai en quelle langue nous avions parlé.
Le mouchoir était à l'eucalyptus.
    
[photo : un métro, une ligne 2, vendredi 16 février 2006 20 h 35]
 
   

Toujours pas de chance avec les princes

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Eugène, le dragon domestique : - C'est l'histoire d'une princesse qui avait été empoisonnée ...
Stéphanot, l'interrompant : - Tu triches, Eugène, un conte ça doit commencer par Il était une fois, ou alors c'est pas la peine, écris un manga.
Eugène (soupir patient) : - Il était une fois une princesse qu'on avait empoisonné.
Stéphanot, qui se dit que décidément les mangas c'est mieux : - Ah bon, mais par qui ?
Eugène (calme olympien du dragon) : - Si tu ne me laisses pas raconter, tu ne le sauras pas.
Stéphanot : - ... (silence de, bon d'accord je ne dis plus rien).
Eugène :
Il était une fois une princesse qu'on avait empoisonné. En fait, deux fois. La première c'était une vieille sorcière avec une pomme pourrie, mais après un long temps de sommeil et un baiser qui sauve, elle s'en était tirée.
Peu de temps après elle avait rencontré un bon prince, pas très charmant mais plutôt séduisant et qui avait eu ce mérite de n'être pas rebuté par son aspect légèrement maladif. On ne reste pas tout un morceau de siècle à dormir d'empoisonnement sans que ça laisse des séquelles, tu comprends ?
Stéphanot : - Oui mais pourquoi un autre prince ? Celui du baiser ne suffisait pas ?
Eugène : - En fait celui du baiser, c'était une princesse, et puis elle n'était pas restée. Elle n'avait que le temps de sauver les gens, pas celui de s'attarder. Dis mon garçon, si tu écoutais un peu ? Parce que cette histoire-là je l'ai déjà racontée ...
Stéphanot : - ah oui je me souviens, il y avait une histoire d'orange aussi. Pourquoi dans les contes, il faut toujours des histoires de fruits ?
Eugène, pris au dépourvu, ce qui est rarissime : - Je n'en sais rien. Sans doute pour que les personnages ne manquent pas de vitamines ?
(reprenant). Elle n'avait rien contre ce bon prince, elle n'aspirait qu'à un peu de bonheur calme, après les tourments qu'elle avait connus.
Ils se marièrent.
Stéphanot (moqueur) : - et ils eurent beaucoup d'enfants.
Eugène sans se démonter : - Non pas tant que ça, deux ou trois en fait. Mais ils vécurent effectivement heureux. Au moins un bout de temps.
Seulement voilà, le prince devait souvent se déplacer à travers le royaume et les duchés voisins afin de bien faire son métier de prince. Pendant ce temps la princesse restait en leur château à s'occuper de l'intendance et de la progéniture. Ca l'occupait bien.
Lui aussi d'ailleurs. Comme prince, il prenait son métier plutôt au sérieux.
Sauf que ces voyages étaient l'occasion de faire des rencontres. Et que certaines contesses étaient plutôt accortes ...
Stéphanot : - Oh bon ça va, j'ai compris, alors il a planté là sa précédente princesse et elle est morte de chagrin.
Tu sais Eugène, c'est un peu tout des vieilles histoires toujours pareil. Les mangas, c'est mieux.
Eugène : - Tu vas trop vite en besogne. Elle n'est pas morte, du moins pas tout de suite, elle n'a même pas été quittée. Il rentrait toujours en leur château, il était juste un peu distrait et de moins en moins souvent là.
Elle était seule et se sentait triste. Comme les enfants grandissaient et réclamaient moins de soins, elle se trouva avec des heures vides (je vous rappelle jeune homme qu'en ces temps anciens n'existaient ni télé, ni jeux vidéos, ni même musique en conserve, si vous vouliez écouter un air, il fallait le jouer ou le faire jouer ; Stéphanot : - Parce que toi tu crois qu'une princesse elle aurait joué aux jeux vidéos ? ; Eugène : Ben oui, pourquoi pas ? Elle aurait pu jouer en réseau avec les petits princes - ).
Elle tenta d'occuper son temps en se lançant dans le tissage. Il est vrai qu'à l'hiver au château il faisait fort froid et que la confection de chauds tissus pour tentures ou couverture était de toute utilité.
Stéphanot : - Je la connais celle-là, encore une qui va se piquer au rouet et en prendre pour cent ans. Pourquoi dans les contes c'est rien que des histoires avec des princesses qui dorment ?
Eugène (perplexe) : Peut-être qu'elles ont une alimentation déséquilibrée. Pas assez de fruits, manque de vitamines, elles tombent plus facilement malades ...
Stéphanot  : - Mais pourtant on a vu que dans les contes il y avait plein de fruits.
Eugène (ignorant l'interruption) : - Ordonque (1), elle devint vite habille au tissage, et exigeante quant aux matières premières et coloris. Au point d'en rechercher certaines teintures par elle-même. Du vert notamment. Et puis un gris-bleu si difficile à obtenir.
Un matin qu'elle y travaillait, elle fut prise d'un malaise violent. En fait on avait remplacé l'un des constituant par un produit toxique dés qu'on le respirait.
Parce que voilà, l'une des jolies comtesses, à qui le prince avait sans doute promis davantage qu'il ne pouvait tenir, en était venue à tant désespéré qu'elle avait résolu d'éliminer sans plus attendre la source même de son chagrin.
Stéphanot avec ce sens moral rectiligne qu'on a quand on a 10 [ans] : - Et alors, elle a été punie ?
Eugène : - Ce fut inutile. Prise de panique à la vue de celle que l'état de la pauvre princesse avait suscitée, elle s'était enfuie à travers la campagne, qu'elle connaissait mal. Elle a finit dans un marais où elle s'est bêtement noyée en tentant de traverser où il ne fallait pas.
Stéphanot : - bon, et alors, et la princesse ?
Eugène : - On la mis sur son lit et on envoya chercher le prince. Lequel fut fort affligé, car il avait de l'affection pour sa princesse, il ne faut pas croire. Mais il ne savait que faire. Le temps passa. Elle n'allait pas mieux, elle n'allait pas pire. C'était comme si ce poison récent avait réactivé l'effet de la mauvaise pomme et qu'elle avait retrouvé son sommeil mauvais d'avant.
L'homme se remit à parcourir le royaume, ajoutant à ses tâches courantes et rendez-vous professionnels inévitables, celle de recherche d'un antidote. Il interrogeant ainsi peu à peu tout ce que le territoire connaissait de mages et d'enchanteurs ; et croisa même quelques fées. Dont l'une d'elle ...
[là Eugène s'interrompit de lui-même, comme un peu troublé] ... ne le laissa pas tout à fait indifférent.
Peu de temps plus tard, lors d'un autre voyage, il croisa la princesse du baiser, celle qui savait sauver les gens tombés par les pommes, la seule peut-être qui pouvait aider.
Stéphanot : - Et alors.
Eugène : - Et alors. Rien. Il la croisa. Ils se saluèrent. Et c'est tout.
Stéphanot : - Mais c'est nul ! Et puis elle a pas de fin ton histoire.
le "je" des trajets : - Mais ne t'en fait pas, tôt ou tard, ils le trouveront, l'antidote. Et s'ils ne le trouvent pas, moi j'irai.
Stéphanot : - Toi ?
le "je" des trajets : - Oui moi.
Stéphanot : - Mais quand ça ?
le "je" des trajets : - Dés demain, si il le faut. 
(1) merci Kozlika

[photo : passage Brady, le 27 mai 2005]

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Saint Valentin

ligne 13 vers Liège, au matin.

      

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Calés contre un strapontin, ils se tiennent serrés par amour plus que par circonstances, encore que celles-ci en ces lieux de compression favorisent le rapprochement sinon des âmes, du moins des corps.   

Ils sont jeunes et je les trouve beaux. Mes critères personnels sont probablement fort divergents de ceux de la réclame, mais dussé-je les dessiner je leur adjoindrais une discrète auréole de bonheur débutant qui leur illumine les traits et réchauffe légèrement l'entourage immédiat.

La jeune fille porte des lunettes. A leur conversation qui a lieu tout contre moi,  je comprends qu'elle doit en changer.

   

la fille : - Je crois les autres, elles m'allaient moins bien.
le garçon : - Les lunettes ?
la fille : - Oui.
le garçon : - Ah bon ? Elles n'avaient pas la même forme ?

Et tout est dit.

            

[photo : Les amoureux bis, prise le dimanche 29 janvier en marge du 1er défilé du Nouvel An chinois, passablement loupée par moi

http://www.flickr.com/photos/gilda_f/99668016/

, et sauvée par Supmylo

http://www.fotolog.com/supmylo/      ]

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La Vespa millésimée

ce lundi à l'heure de la pause déjeuner, Paris vers les Grands Boulevards.

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Je me hâte au retour d'une course nécessaire que j'ai tenté d'intercaler entre la cantine et la reprise du travail pour l'après-midi. Seulement ce fut plus long que prévu, un trop d'attente en caisse et je suis en retard. 

 

Au détour d'une rue toute proche du bureau, soigneusement attachée aux
plots prévus à cet usage, une Vespa sortie tout droit de La Dolce Vita. Je pile, pense à Wytejczk, que les scooters intéressent, en plus que celui-là possède une belle pin-up sur un autocollant dans le style d'origine ; sors aussitôt mon appareil photo, celui du sac, le petit permanent.

   

Le vieux réflexe est toujours là, de partage avec l'ami. J'imagine son intérêt et son amusement à la lecture de sa messagerie, à la vision de la photo.

 
Puis je réactualise douloureusement : Wytejczk est sans doute loin, le taxi de samedi pouvait être de départ et s'il était de retour, il sera loin moralement, préoccupé par de toutes autres choses qui me sont inconnues.

   

Et à peine ensuite je ne pense plus à rien parce que quand je prends des photos, même avec l'appareil de poche, même à proximité d'un danger, seule la photo importe. Le monde entier pourrait mourir et moi avec que je m'en rendrais à peine compte, concentrée.

   

En l'occurrence ce n'est pas dangereux, c'est juste une magnifique Vespa d'époque, garée dans une petite rue.
Quelqu'un m'interpelle ce qui néanmoins me fait sursauter, non pas de peur mais d'atterrissage.


- Vous faites bien de la photographier, elle est remarquable. me
complimente un homme élégant.

- Je trouve aussi. réponds-je platement

il jette à nouveau un coup d'oeil à l'engin.

- Elle date de 1954, ajoute-t-il d'un ton d'évidence

La précision de l'affirmation calme me surprend :
- Vous voyez ça juste comme ça, vous ?

Il esquisse un demi-sourire et s'éloigne avec un collègue resté silencieux et qui l'accompagnait.

   
Je termine ma courte série. La lumière n'est pas favorable. Grise. Mouillée. Et mon flash ne fonctionne plus trop.
Je tente quand même ma chance, sans savoir si oui ou non j'enverrai le résultat à l'ami en absence. Je cherche  réconfort dans le souvenir du compliment. Ayant perdu ma jeunesse, et son peu d'éclat, je n'en ai plus trop l'habitude,
ni d'en recevoir en tant que photographe au moment même de l'action.


J'aurais fait au moins une chose qui aura satisfait quelqu'un. Cette journée n'est pas perdue.

   

[photo : Vespa 1954, avec pin-up]


Le mystère de la rue Montmartre

      
saturday night with no fever, Paris sur les Grands Boulevards
       
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J'ai soudain faim comme on prend froid. Une sorte de jauge à carburant intérieur se met au rouge sans avertissement préalable. La sensation que 20 mètres de plus et je tomberai d'inanition. J'ai abusé de sports et l'on m'y reprendra.
    
J'avise une échoppe "La crêpe de Paris", elle est à deux pas. Ils sont deux à servir, non sans efficacité. Deux billigs chacun et ça ne chôme pas. J'admire leur rapidité, la taille, l'abondance de garniture des galettes ; le prix, moins, qui est en conséquence.
Mais je n'ai pas le choix, il s'agit d'un cas de force majeure. J'en choisis une au fromage, accompagnée de champignons. Je pense que cet alliage sera mieux colmatant.
   
Il l'est. Empêtrée par mon sac, volumineux, mon autre sac, pour les papiers, un livre, forcément, la dragonne de l'appareil photo, forcément (bis), et la somptueuse galette, je poursuis mon chemin. Des amis m'attendent qui ne me verront pas.
   
 
Le fromage attaque le premier. Il refuse de se laisser sectionner par mes dents et s'étire en longs filaments, je fais ce que je peux de ma seconde main qui pourtant n'est pas libre. Quelques champignons audacieux en profitent pour se faire la belle.
 
Et j'atteins une rue qu'il me faut traverser.
   
Le boulevard est encombré, ainsi que les adjacentes. Est-ce que ça coince aux gares des Nords, en ce soir de chassés-croisés de vacanciers skieurs, zones de vacances et France en tranche ?
Et ce fromage qui ne l'est pas.
      
Je manque de trébucher. La courroie de mon sac, le grand et un peu lourd, me descend de l'épaule, je peste, la remonte et stoppe à deux pieds d'un taxi blanc qui venait de tourner à l'angle de la chaussée que je voulais passer.
            
Je distingue fort bien en passagère une dame aux cheveux blonds ou plutôt de ce châtain très clair que l'on fait de nos jours. Elle est si près de moi que la fenêtre fût-elle ouverte et elle aimant fumer, je pourrais lui proposer du feu. Elle parle sérieuse et déterminé à un homme situé à sa droite et dont je ne vois que le profil et une absence absolue de mouvement qui dénote l'attention ou l'envie d'être ailleurs et d'arriver enfin.
      
   
Ma propre tension remonte d'un coup, ce profil entre mille, je peux le reconnaître, et la main placée devant la bouche en signe d'écoute ou de réflexion, c'est sa façon, c'est lui, Wytejczk.
         
Je n'ai le temps de rien. Le taxi qui devait piaffer dans les embouteillages veut se rattraper qui file donc à grandes roues,
je le regarde longuement s'éloigner, non sans un regard triste et grande perplexité. Vrai mirage ou faux mystère ?
Qui était-elle ? Que faisaient-ils ? Pourquoi ne circule-t-il plus jamais en scooter ? Est-il au moins encore coursier ? Je ne sais plus rien de lui quand nous étions si proches, confiants et confidents.
   
Je ramasse le restant de crêpe que je viens d'apercevoir à mes pieds, le jette dans la poubelle proche. Mes doigts sont poisseux et mes neurones tout aussi ensuqués qui ne savent pas comprendre ce qu'ils ont pourtant bien vu.
    
Mon téléfonino vibre alors dans ma poche, je sursaute comme au premier réveil, et tente maladroitement de l'en extraire à temps.
      
Au même instant et si peu loin, le métro sur la ligne 6 voit son trafic très perturbé, des cinémas affichent complets et des gens dînent au restaurant.
    
    
[photo floue prise sur zone, peu avant ou peu après, par temps fictif, comment savoir ?]

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Le bénévole de la bonne soupe

      
quartier des Halles, Paris, hier soir.
    
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Il est grand et svelte, silhouette de (bon) nageur ; et l'énergie aussi. Pour l'heure il s'active :
il sert la soupe.
      
Par dessus ses vêtements usuels, un paletot bleu comme on use en sport, indice de son appartenance au groupe de ceux qui organisent.
Il s'agit d'une soupe populaire ; il faut donc distinguer et organiser.
    
La petite foule rassemblée est silencieuse et calme. Chacun une fois servi s'écarte un peu, se trouve un coin, un porche, un bout de banc malgré le froid. Certains se connaissent et se causent. Ceux-là dégustent debout, en demi-cercles accueillants.
      
Les portions sont copieuses et les personnes servies de toutes diversités.
Je me demande parmi eux quels sont les habitués et ceux qui le sont moins, ceux qui espèrent ne plus revenir et ceux qui n'espèrent plus.
            
Installée au chaud dans un pub confortable d'où j'observe la rue, je questionne mon avenir, sur mes risques un jour, (mauvaise) santé, (impitoyable) dictature économique, ou désespoir aidant de les rejoindre en nécessité. Ce n'est qu'une place à traverser ; l'adret et l'ubac ; le côté d'un trottoir.
      
Les bénévoles s'activent, tous sont bientôt servis. D'une célérité qui sent l'habitude, ils rangent le matériel puis sortent des balais, de ces balais de paille d'un classique absolu. Quelques minutes suffisent à rentrer ce qui doit l'être derrière la palissade qui protège l'église, et effacer les traces de tout passage alimentaire.
         
Je revois le jeune homme, libéré de la louche et du vieil O'Cédar, débarrassé de son uniforme de servant, un sac à l'épaule, il s'éloigne sans traîner. Il prend pourtant le temps de saluer un homme, collègue ou client ; qu'il soit venu manger ou aider, c'est peut-être un ami.
         
On sent à sa démarche qui est attendu, a sa soirée ailleurs, mais fait son devoir avant. Quel esprit l'habite ? Vient-il chaque soir ? Comment trouve-t-il le temps ? Agit-il par croyance ou bien par convictions ?
J'envie un instant sa jeunesse, son allant et son engagement, puis m'éloigne de la fenêtre et rejoins mes commensaux.
         
En une heure à peine, il ne reste plus rien du secours nécessaire ni de l'aide apportée. Quelques pigeons se régalent de miettes.
      
Plus tard, au même endroit, un cycliste d'art viendra s'entraîner ; le parvis comporte quelques marches qui lui feront tremplin.
      
Nous sommes à Paris (Europe), en l'an 2006.
   
[photo : même lieu, mêmes heures]
 

L'enfant au chien

 

un autre mercredi, plutôt récent, fort froid

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Nous le croisons fréquemment. Bizarrement pas aux mêmes heures. Ca peut être le matin quand j'accompagne Stéphanot ; mais d'autres jours au bord de midi.

          

Il semble venir du fond de Clichy et va vers Levallois. Invariablement. Il pédale avec énergie. Car il circule en vélo. Toujours. Je ne l'ai vu qu'une seule fois mettre pied à terre. Il était à la boulangerie à l'angle du boulevard, le vélo et son équipement posé le long de la devanture. Sans antivol.

      

Qui volait le vélo, volait aussi le chien. Un chien brun, d'assez bonne taille et qui se tenait sagement assis dans une remorque artisanale, comme celle qu'on peut louer à l'île d'Yeu pour le transport de la progéniture vacancière. Personne n'avait donc caroublé l'un ni l'autre. L'animal si calme et semble-t-il placide ne l'aurait peut-être pas entendu de cette oreille.

         

Ni l'enfant non plus. Depuis le temps que nous le voyons, il n'en est plus tout à fait un. Adolescent serait meilleur terme. On sent aussi à le voir avancer, qu'il a moins de mal, entre croissance et entraînement, son trajet sportif peut-être quotidien, peut-être bi ou tri-hebdomadaire s'accomplit désormais avec une enviable aisance apparente.

      

Je ne sais rien de lui. Ni lui de nous. J'admire sa régularité, le croiser me rassure, et la tendresse muette et évidente qui les lie ces deux là. Je me refuse à leur imaginer une histoire ou une vie, peut-être un peu morcelée entre deux lieux distincts. En revanche je devine un proche habile au bricolage : la carriole semble sur-mesure. D'ailleurs le matin de la photo il faisait grand froid et le chien bénéficiait alors d'une sorte de glacière de protection que nous n'avions jamais vue plus tôt, si l'on peut appeler glacière ce qui doit tenir chaud. Seule sa tête dépassait. Mais il ne bronchait pas ; comme si se déplacer par -4°C dans une petite remorque tirée par un vélo d'une banlieue à l'autre était pour un toutou activité banale.

                

Stéphanot avait lui aussi repéré le garçon et son compagnon. Nous n'avions jamais parlé d'eux entre nous. Mais quand j'ai sorti ce matin-là l'appareil photo avant même de les voir, il m'a juste dit :

- Comment sais-tu qu'ils vont passer ?

J'ai souri sans répondre, tenté une mise au point car entre temps ils venaient d'apparaître, et puis fait comme j'ai pu.

   

Ils me sont comme un secours contre l'impermanence des choses et l'affection fragile. Ils font la banlieue belle et encore en vie. Je voulais les saluer.

Depuis longtemps ;

et rendre ainsi hommage à leur ténacité.