Le soir où j'aurais dû mourir
31 janvier 2006
de froid (mais où vous m'aviez donné la force de ne pas céder)
Paris, dehors, au soir d'un 31 janvier.
Pourtant vous n'étiez pas là. Mais alors vraiment pas. D'ailleurs ma présence dehors en une nuit glaciale d'un janvier parisien était due à votre absence.
Ca peut sembler curieux.
C'était comme ça. Je ne m'en plains d'ailleurs pas, j'étais volontaire.
J'aurais dû être à l'intérieur, je m'étais prudemment inscrite. Mais tant de gens en avaient fait autant, c'était formidable quand on y repense, qu'il n'y avait plus de place. Il aurait sans doute fallu arriver très tôt et moi je sortais de mon travail où je faisais beaucoup d'heures pour peu de salaire. Ce qui n'a guère ou si peu changé.
Donc, plus de places ; ce qu'on nous avait annoncé après un déjà long moment d'attente, en file, à l'extérieur et par zéro degrés (ou peu s'en fallait).
Pas non plus l'ombre de Wytejczk, pourtant j'aurais juré qu'il serait bien là. A l'époque, nous nous croisions souvent. De cette soirée même, il m'avait parlé. Mais il avait dû négocier ses horaires, arriver tôt, entrer. Curieusement je ne me souviens pas d'avoir tenté de le joindre. Peut-être ne l'ai-je tout simplement pas fait, craignant de peser par mon retard et toutes ses sortes de difficultés que je sais si bien recueillir.
Je pensais repartir, heureuse du succès populaire, déçue ne m'y point participer plus activement, quand quelqu'un nous annonça un écran extérieur, sur le côté du bâtiment. Mes pieds m'y portèrent. On y parlait déjà de vous.
Quelque chose m'a dit que je devais rester, j'ai fait taire mon corps qui protestait encore, avant de s'engourdir congelé ; je parviens assez vite, en fait, à cet état. Le cerveau fonctionnait, pensait à vous, voulait en être. Jérôme à l'intérieur prenait la parole qui par image projetée parvint à nous faire rire. Son humour irréductible que je savais vôtre, sa leçon d'espoir, et de présence solide me tint plusieurs mois durant.
Ce n'était rien à côté de vos propres souffrances, je le savais précisément, j'ai donc tenu au froid jusqu'au bout du rassemblement, cachant plus tard un malaise dans les toilettes accueillantes d'un bistrot voisin.
Rentrée chez moi, j'avais envoyé un mot à vos amis qui déjà s'organisaient pour lutter dans la durée. Je n'osais pas encore me joindre car je ne vous connaissais pas, je vous connaissais de vous lire. C'est très fort comme proximité, mais sans doute pas aux yeux du monde.
C'était il y a un an.
A présent le froid, je l'ai à l'intérieur. Vous allez bien, m'a-t-on dit. Moi pas. J'ai tout confort et même liberté, formidables privilèges. Seulement ma vie n'a pas su s'arrêter au doux moment de vos retrouvailles avec ceux qui vous aiment et vous aimaient. Elle a poursuivi sa pente qui est fort descendante et non dépourvue de récentes solitudes.
J'aimerais retrouver cette force que vous m'aviez donnée, ainsi qu'enfin bonne résistance à toute glaciation.
[photo théâtre du Rond Point à Paris, en extérieur jour et récent (23 janvier 2006)]
à chaque année, hélas, sa solidarité nécessaire :