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Le secours de Johnny

vendredi 30 septembre, gare Satin Lazare, milieu de matinée

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Du refrain il ne semble connaître que le premier vers qu'il répète en boucle sur un mode atonal, mais elle est si connue qu'on l'entend en musique.

C'est un air de Johnny, datant de deux printemps. Il est bien un peu triste, mais l'homme que je croise sur les escaliers roulants, en fait une pièce d'allégresse. Il rayonne et sourit de toutes les dents qui lui restent. C'est un homme de la rue et qui semble heureux.

Amoureux, peut-être ?

Je lui souris alors qu'on se passe, lui montant, moi descendant. Concentré sur ses amours ou sa psalmodie, il ne me voit pas. Dépourvue du bon prénom et éperdue de perte, je n'ajoute aucun signe et le laisse en paix savourer en chanson son bonheur fragile.


Le pochard serviable, la dame bien mise et le vélo cassé

entre Opéra et Grands Boulevards, mardi 27 septembre 2005, début d'après-midi
    
   
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La dame est fort bien mise, cheveux au vent mais tailleur gansé, chaussures pointues de forme et de talons, sac à main féminin et gants de cuir beige.
Quand elle entre dans mon champ de vision, elle pédale encore.
    
J'attends le bus qui doit me conduire à la gare d'où je prendrai le train.
    
Sur un banc voisin, un pochard, bouteille d'un vin jaune à la main, consommée aux 2/3 malgré l'absence de compagnon à ses côtés. En dépit de la détresse que sa situation exprime, d'allure et d'habits fatigués, ainsi que d'une forme de flou dans ses gestes, il garde un air avenant. Je le pressens bavard et liant ; lui devine meilleure fortune dans sa vie d'avant.
    
Le vélo est quant à lui des plus banals, trop sport peut-être pour un usage purement citadin. Mais il en est des cycles comme des automobiles et tous les tout-terrains font fureur en ville. Il transporte la dame élégante et par contraste, je le trouve bien un peu négligé.
   
Il le trouve sans doute aussi, puisque sous mes yeux il casse.
   
   
Il perd une pédale.
   
Au sens littéral, à savoir qu'elle se met à refuser obstinément de rester diamétralement opposée à sa collègue plus docile, et malgré deux tentatives de remise en place sommaire de la cycliste urbaine si mal attifée pour le bricolage, retombe immanquablement auprès de l'autre.
   
Une enfance banlieusarde passée, entre deux parties de foot, à circuler sur de vieux biclous m'ayant laissé comme un vernis culturel de médecine vélocipédique, j'en suis à me dire que je pourrais aider, quand surgit de son banc, soudain tout vif sauf de l'oeil, demeuré un brin vitreux, notre voisin de fortune.
   
Il dépose sa bouteille soigneusement près de l'engin malade, et prend l'affaire en main. Je l'estime immédiatement bien plus qualifié que moi pour le rôle, d'autant qu'il semblait alcoolique mais demeurait mondain. Il semble avoir sur lui quelques outils ou ustensiles pouvant faire office.
   
Je choisis de guetter mon bus pour plus de discrétion, et détourne mon regard ce que d'autres ne font pas. Il arrive. Mon emploi du temps portant une contrainte arrière, je ne peux différer davantage mon déplacement, j'y monte donc, au détriment de cette courte scène qui restera sans achèvement connu.
   
J'ai cependant le temps d'entendre ces mots, par une voix de femme plus jeune que son costume :
- Voilà, c'est super ! 
puis,
- Ce que vous devriez faire , vous devriez vous installer là ...
   
Je soupçonne un conseil de création d'échoppe pour dépannage aux cyclistes en détresse, et que la dame bien vêtue a suivi les cours d'une école de commerce ou rêvé d'y parvenir tant la reconnaissance suit chez elle la veine prosélyte d'une nouvelle convertie.
   
Je n'entends ni ne perçois la suite, mais alors que le bus s'engage lentement sur le carrefour encombré devant l'Opéra, entrevois la dame qui sur son vélo requinqué file fièrement vers Vendôme.
   
    
Je me dis qu'à sa place j'aurais probablement payé son coup au mécanicien spontané et tant pis pour le retard que de toutes façons la panne sans secours aurait rendu plus fort. Peut-être bien d'ailleurs qu'en signe de victoire, il lui aura proposé un gorgeon du vin jaune clair, qu'elle n'aura pas souhaité ? 
   
Je prends une photo une fois qu'elle disparaît.
   

Le petit ménage du dimanche matin

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dimanche 25 septembre 2005, au matin
    
Le vieux monsieur et la petite fille ont l'allure tranquille de ceux qui vont au marché. C'est dimanche matin et il n'est pas loin.
         
Ils cheminent tranquillement, elle lui donne la main et à leurs visages tournés l'un vers l'autre et légèrement mobiles, je devine qu'ils se parlent ;
      
qu'en d'autre temps, et d'autres lieux, il lui aurait expliqué comment obtenir les plus tendres tomates le long d'un mur de ferme en toute précocité (1).
      
Soudain ils s'arrêtent. Loin derrière eux, mais sur le même trottoir, je me retiens à grand peine d'en faire autant, puis comprends la cause de cette halte soudaine.
      
Au 7ème étage de l'immeuble devant lequel ils s'apprêtaient à avancer, quelqu'un secoue énergiquement une carpette poussiéreuse ; sans se soucier le moins du monde d'éventuels passants.
      
Un autre homme garé un peu plus loin et qui s'apprête à monter dans son véhicule assiste à la scène sans être directement concerné et hoche la tête d'un air désapprobateur.
Mais le vieil monsieur, peut-être grand-père et sa petite-fille ne manifestent aucune impatience. Le tapis disparaît à l'intérieur de l'appartement avec les bras qui le tenaient. L'homme et l'enfant reprennent leur chemin.
      
Je souris en imaginant que Wytejczk, présent, l'aurait fait. Mais c'est dimanche et il ne travaille pas ce jour-là. J'imagine qu'il prend plaisir alors s'il veut sortir à emprunter le métro au lieu du scooter sur lequel il effectue en semaine tous les trajets qu'on lui réclame.
    
Je résiste à l'envie de lui téléphoner pour lui raconter la scène. J'ai peur de déranger sans savoir dire ce que ses yeux auraient aimé.
   
A mon tour sous l'immeuble dont pleut la poussière, je lève les miens pour vérification, puis hâte le pas tant que la voie est libre.
Au bout de la rue, le grand-père et la petite ont tourné vers celle qui mène au marché.
    
Mon trajet n'est pas le leur. Je suis seule désormais.
    
(1) "L'albero degli zoccoli" d'Ermanno Olmi, le premier film qui m'a fait comprendre que le cinéma c'était pas juste des histoires qu'on raconte, mais infiniment plus.  http://www.imdb.com/title/tt0077138/

Le roumain malheureux, le jeune homme et sa modernité

Je suis une femme cruelle. Je ne donne pas de monnaie à ceux qui au métro entrant dans une rame (1) nous imposent leur musique quand je souhaite la plupart du temps lire ou somnoler.
Je fais parfois exception pour ceux dont le talent réel et le travail me rendent chagrine leur présence en ces lieux.
Celui de ce soir-là n'était pas dans ce cas. Il braillait en roumain une chanson méconnaissable. Au point qu'à qui ne connaissait pas la langue il était impossible de déterminer s'il s'agissait d'amour, d'à-boire ou de drapeau. Il ne chantait pas faux, mais d'une façon brutale et forte qui heurtait ma fatigue, celle qui m'empêchait de quitter mon strapontin et bondir dés la station suivante vers un wagon plus hospitalier.
Quand il passa demander son obole, je n'ai rien pu faire d'autre que lever les yeux vers lui et lui faire signe que non, désolée.
A côté de moi un jeune homme, détendu et souriant, prit le temps de fouiller dans son sac de sport et en tira de quoi faire un don généreux.
Le Roumain montra alors tous les signes de la plus grande reconnaissance et pour prouver celle-ci, entonna à pleine voix une nouvelle rengaine. J'y vis la punition de mon égoïsme, tandis que d'autres voyageurs pourtant plus loin placés enfonçaient légèrement leur cou dans leur col, ce qui me rassura (sans me consoler) quant à ma capacité d'appréciation musicale.
Au bout d'à peine un couplet, l'artiste s'interrompit et fit à son mécène provisoire un signe impérieux.
Ce dernier, conciliant et avec un sourire contrit, ôta alors les oreillettes du baladeur mp3 qu'il écoutait depuis le début de son propre trajet. 
(1) les bons mois je suis en revanche volontiers généreuse envers ceux qui enchantent les couloirs où je suis libre de passer rapidement ou de m'attarder, faudrait pas croire.

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Mal aux mots

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Certains jours les mots ne viennent pas. Je suis fatiguée et pas tant bavarde, j'ai donc l'habitude qu'ils ne "sortent" pas, que je ne puisse pas les dire, pas les articuler, ce qui demande un effort physique et une présence d'esprit en bon état.
      
Depuis deux ans, je parvenais parfois à les confier aux feuilles de papier ou à l'écran d'un ordinateur. En silence ils se défilaient moins.
         
En ce dimanche ni l'un ni l'autre de ces chemins fonctionnent, une douleur les retient quelque part où ils se terrent à l'abri de moi.
       
C'est une souffrance.
         
Quelques-uns de mes très proches savent reconnaître cet état, sous des apparences qui cousinent une tristesse de passage ou une mauvaise humeur qui manquerait d'expression ; quelques très rares de ces quelques-uns détiennent en eux une clef qui sait m'en libérer. Mais il faut pour cela que nous soyons en présence et suffisamment tranquilles pour qu'ils puissent opérer.
      
Ce n'était pas le cas aujourd'hui.
   
Il me va donc falloir tenter les larmes.
 
merci à Sorj Chalandon dont le livre "le petit Bonzi" que je m'apprête à lire m'a pour partie inspiré ce billet précisément aujourd'hui.

Molitor

jeudi 1er septembre 2005

Ils sont deux hommes et une femme dans un bureau classique avec pignon sur rue et des meubles en bois.

Les hommes sont assis. La femme leur fait face. Elle leur parle alors que je passe.

La discussion semble animée et calme en même temps. Il est 23 heures 39. C'est encore l'été.


Un voyage dans le temps

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jeudi 1er septembre 2005 - 8 heures 35 probablement -
Je reprends le chemin du bureau après de solides congés non sans un plombant "back-to-school feeling" qui se transforme en un surprenant "back-to-school-days feeling" alors que je parviens sur le quai du métro.
      
C'est en levant les yeux que j'en comprends la cause, et cesse de songer aux amis dont sait d'avance qu'on les perdra de vue parce qu'ils sont dans une autre classe ou ont changé d'école alors que pas nous. Sur un énorme panneau publicitaire apparaît figé à jamais dans une intemporelle blancheur de Geisha le visage de Mireille Mathieu chanteuse qui du temps lointain de mon enfance enchantait sinon mes oreilles (du haut de mes 10 ans je la jugeais ringarde) du moins les gros titres des journaux à tirages qui annonçaient tour à tour ses suicides puis ses résurrections.
   
Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître (1) et où le scandaleux était fort bon marché.
J'ai souri puis voyagé parmi des souvenirs. Ce n'était pas si désagréable après tout de reprendre un beau matin de septembre le chemin de l'école.
      
En sortant ligne 3, j'ai entrevu Wytejczk. Déjà sur son scooter, probablement plusieurs courses depuis le matin. Il filait mais m'a repérée, souri sous son casque (2) et fait signe de la main.
Ce bref et imprévu croisement de nos chemins, complété par son geste, m'a recalée dans le présent puis portée tout le début du matin.
   
(1) air très connu
(2) certitude
rajoutis d'aujourd'hui (vendredi 7 octobre 2005),  je ne peux résister au plaisir de déposer ce lien :