Tous ceux d'entre vous qui ont une (ou plusieurs) passions dans leur vie l'auront tôt ou tard éprouvé.
Voilà : vous êtes professionnel dans un domaine, par exemple les pompes funèbres, l'aide aux personnes âgées ou la comptabilité, et grand amateur dans un autre qui ne vous permettrait pas d'en vivre : l'opéra, l'œnologie, les grands whiskies, le cinéma, le théâtre, la photographie, la littérature, le rock'n'roll des années 60.
Alors voulant vous faire plaisir, et comme votre métier de base comporte un taux d'inspiration de cadeaux joyeux faible, vos proches, amis et connaissances ont tendance s'ils doivent vous accorder un présent, à tabler sur un élément lié à ce dont on vous sait passionné. Là réside toute la difficulté : en tant que grand amateur vous en savez davantage que tous vos camarades réunis, à moins que vous ne fassiez partie d'un club et que vos proches aient la bonne idée de s'adresser à leurs membres éclairés. Variante : vous possédez déjà tout ce qui peut être acquis à un prix raisonnable. Et voilà que voulant vous prouver qu'on vous aime on vous offre, des places onéreuses pour une interprétation que vous aviez soigneusement évitée, un deuxième grand cru classé et d'une mauvaise année au lieu du premier, un blended à la bonne réputation usurpée, des films aux bonnes critiques mais qui sont de ceux que vous détestez, des tickets pour une performance expérimentale extrême (au prétexte que vous aimez les choses un peu élaborées), un matériel incompatible avec votre équipement préalable, le dernier Goncourt (1), un disque de new-wave (que vous détestez, Mais pour te changer).
Bien sûr on est à une époque où les cadeaux se recyclent sur e-bay (3), mais voilà, il se trouve que le grand amateur est souvent vieille-école et a des scrupules encore à adopter de notre époque certains comportements cavaliers.
Le grand amateur est donc pratiquement condamné à ne jamais recevoir de surprise à ses goûts. À moins que ceux qui l'aiment ne sachent lui faire découvrir quelques délices dans des domaines qu'il n'a lui-même pas encore explorés, ou n'aient le sens du cadeau utile, simple et classe mais qui facilite la vie.
(1) Sauf cette année car il est très bien (2). Mais justement comme il l'est, vous l'avez lu.
(2) De Pierre Lemaître "Au revoir là-haut"
(3) Au fait qu'as-tu fait de la montre que je t'avais achetée, en la choisissant avec soin afin qu'elle puisse t'aider ?
PS : Si votre domaine professionnel est un tantinet glamour, par exemple chef cuisinier dans un restaurant élaboré, le syndrome associé aux cadeaux, variante de celui-là, peut-être pire : on croira vous faire plaisir en vous équipant d'un élément lié à votre travail. Onze risques sur dix qu'il ne vous serve à rien (à moins d'une enquête préalable de proximité sur quelque chose qui manquait), qu'il corresponde à des trucs amateurs dont vous ne ferez rien (vous êtes à des coudées au-dessus du niveau de ce qui vous est présenté), ou même s'il est bien visé qu'il tombe dans votre zone de saturation (par exemple évitez d'offrir un roman à votre ami éditeur qui s'épuise déjà à lire - je dis ça, il m'est arrivé de le faire -)
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