Je viens de lire avec émotion (et comme dab une once stylistique d'agacement, mais juste une once) "Billie" d'Anna Gavalda. Que les choses soient claires : je viens de beaucoup moins loin que la petite Billie qui s'apprend du Quart Monde, nous c'était la frange d'en bas de la classe moyenne, celle qui si elle est bien sage parvient sans manquer de l'essentiel à franchir la fin du mois.
Et mes parents ne me tapaient pas sauf s'ils avaient eu peur (vous savez, la baffe qu'on file au gosse qui s'élançait pour traverser au rouge piéton alors qu'une bagnole arrivait et qu'on a rattrapé in extremis (le môme pas l'auto)).
Il n'empêche que les syndromes de Billie, je les ai trouvés merveilleusement identifiés. J'en retiendrai quatre, allez
- 1. le syndrome de la peur de gâcher un bon souvenir en en demandant trop (alors on arrête en cours de route, un peu)
Ainsi passé la période d'apprendre la pièce de théâtre, Billie ne conserve pas l'habitude de retourner chez la grand-mère de Franck. Elle pressent, elle a déjà plus d'une fois subi dans sa vie, que d'y croire trop, de commencer à baisser la garde, à s'habituer à du douillet, alors que rien de l'existence n'a fondalement changé, c'est s'exposer à un fameux retour en déception.
Il m'est arrivé de ne pas insister sur du travail envisagé, parce que rien que l'entrevoir était déjà trop beau (et que je ne m'en sentais pas tout à fait les capacités).
S'affranchit-on jamais de ce handicap-là ?
- 2. le syndrome de craquer (fondre) (être destabilisé(e)s) quand les gens sont gentils, ou même simplement respectueux.
Tellement on n'est pas habitué(e)s, vu qu'on est toujours l'élément qui se fait rabrouer, reprocher, et que rien n'est donné, ça nous prend au dépourvu. Le corollaire de ce syndrome est que si quelqu'un est sympa on se méfie, on se dit qu'est-ce que ça cache ? Ça n'arrange pas les choses.
J'ai mis un moment à me remettre de l'ordinateur que m'ont offert les amis en se cotisant parce que j'étais dans la dèche et que le mien tombait en panne et que pour écrire il me fallait un bon outil. Je croiss que je ne serais vraiment d'aplomb que quand je gagnerai ma vie en écrivant (autant dire : c'est pas gagné)
- 3. le syndrome de ne pas se rendre compte quand les autres ne sont pas corrects, ou de trop bien l'accepter
Billie en vient à se prostituer, heureusement en occasionnelle et non dans un réseau qui l'aurait exploité, elle s'accomode, pour elle c'est une façon comme une autre de s'en tirer. Les parents de son premier petit amis ne l'acceptent pas à table, elle mange leurs restes dans une caravane au fond du jardin. Limite reconnaissante : elle trouve là un peu de stabilité jusqu'alors inconnue. Et puis quand même elle est nourrie.
Sans aller si loin, je ne me suis pas rendue compte sur le moment qu'un homme à présent sorti de ma vie (et encore c'est lui qui m'a quittée, sinon j'aurais gentiment continué à me laisser exploiter en pensant "pauvre de lui" - qui avait entre autre des ennuis pas marrants de santé -) ne me traitait pas comme il aurait été normal qu'il le fît. Ainsi il ne m'accordait que de brèves retrouvailles, et jamais à la gare ne me raccompagnait alors qu'il vit dans une ville où la voiture permet (certes avec embouteillages) de circuler. y compris lorsque j'étais de ses propres livres qu'à Paris je devais distribuer, lourdement chargée. Mais voilà un peu comme Billie avec les repas de restes, il me nourrissait d'une part d'affection et de regards amoureux dont je manquais. Je ne me rendais pas compte qu'on ne m'accordait que les miettes, que l'essentiel manquait. (exemple parmi tant d'autres et avec d'autres personnes, dans ma vie ; et en particulier : cette difficulté qu'on éprouve dans le travail à se faire décemment payer)
- 4. le syndrome de Ne dépassez pas certaines bornes sinon je ne réponds pas de moi
Billie par deux fois prend la mouche : une fois pour défendre Franck dont elle vient d'apprendre qu'il a été attaqué, une fois pour défendre un enfant qu'elle voit par son père frappé. Dans ces cas-là, tout ce qu'on a appris de dureté et de savoir se battre peut d'un coup remonter. Généralement pas nous concernant nous-même (on a l'échine souple, voir syndrome numéro 3) mais quelqu'un qu'on aime, ou quelqu'un qui nous rappelle nous-même à un moment où l'on a subi sans pouvoir se défendre.
Voyant un jour mon fils (tout petit, dans sa poussette) effrayé et que c'était dangereux pour tous les enfants qui venant de l'école remontaient la rue, je m'en suis prise en l'engueulant comme je ne m'en serai jamais cru capable envers personne, à un grand type baraqué au crâne rasé et son pitbull pas en laisse pas muselé. Ça aurait pu mal tourner. (Là aussi un exemple parmi tant d'autres)
Parce qu'il faut savoir aussi que d'être né(e)s Billie, ça fait de nous des humains pas génialement froussards. Et que lutter, on sait.
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