JEUDI 15 OCTOBRE 1987 (suite)
Je ne l'ai pas trouvée plus longue que les autres, cette journée de boulot. Je n'ai pas trop traîné, j'avoue : à 20 heures au gymnase-club Monceau, j'avais cours de danse ; évacuer la tension, calmer le corps en le secouant un peu. Je suis passée à ma piaule vite fait, elle est minuscule mais loin ni du bureau ni du lieu de sport, me suis changée, puis ai filé danser.
Impossible de me rappeler si j'ai ou non pris le temps de manger quelque chose au passage. Mes affaires, ce sac, toujours le même où je les mets et qui fait la bonne taille, vérifier que j'ai bien pris un cadenas pour le casier du vestiaire, une bouteille d'eau pour ma soif ultérieure. Dîner, franchement, je ne sais plus.
Le cours s'est bien passé ce soir-là. La concentration avait été difficile au travail, mais pour la danse elle est bien revenue.
Danser m'est difficile. Je m'y applique du mieux que je peux.
J'ai cru avoir mémorisé la chorégraphie complète, mais ce qui est advenu par la suite me l'a complètement effacée de la mémoire, jusqu'au choix de la musique.
Pendant le cours, je ne me doute de rien, pas même qu'il s'agit de mes derniers instants de relative insouciance. Je prends d'ailleurs tout mon temps pour me doucher ensuite. Puis je fais un bout de chemin avec ma prof. Je l'aime bien, je suis nulle et elle a bien voulu de moi à son cours, peut-être qu'elle a pigé que j'étais du genre à m'accrocher et à finir par le devenir moins. Il fait relativement bon pour la saison, on reste un peu à discuter à la lumière d'un lampadaire de la place du général Catroux où nos chemins se séparent.
J'emprunte la rue Legendre, reste un instant à regarder les poissons de l'aquarium qui fait aussi vitrine de la première pizzeria sur la droite. Il y en a un gros, tout gonflé comme s'il soufflait dans ses joues, blanc avec des taches noires et qui me fait sourire. D'autres plus petits j'aime bien la couleur et les reflets qu'ils offrent parfois l'espace d'un mouvement.
Je me dis qu'il faut quand même rentrer, écrire une lettre à mon homme, que ce serait bien et tant pis si je n'ai pas reçu de réponse à la précédente. On dirait qu'écrire est plus facile pour moi que pour lui. Trouver le temps de le faire en tout cas. D'un coup j'attrape un brin de hâte.
J'habite rue Dulong, ceux qui connaissent Paris savent que c'est tout près de la rue Legendre, une petite perpendiculaire qu'on rencontre en allant vers Pont Cardinet.
L'ascenseur n'est pas en panne, je n'ai pas à faire l'effort de m'encaisser les 7 étages à pied pour regagner la chambre de service où je loge, une seule pièce donc, un coin cuisine et une micro salle de bain.
J'arrive juste avant 22 heures 30. J'allume la radio dans l'idée d'écouter les informations un peu complètes. Sur France Inter elles sont à cette heure-là.
Je n'ai pas la télé, ça prendrait trop de place, et dans cet espace restreint et dans ma vie. J'aurais eu la télé, je l'aurais de toutes façons pas allumée.
D'abord écrire à mon homme.
J'entends d'une oreille distraite ce qui précède le journal, je suis dans la salle d'eau en train d'y mettre ma serviette à sécher et sortir mes affaires de sport de leur sac. Je reviens vers la chambre mes chaussons de danse à la main, au moment précis des bips annonciateurs d'infos.
La voix est passée à autre chose.
Moi pas.
Les chaussons de danse se sont retrouvés par terre.
Moi pas.
Pas déjà.
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