
J'étais restée silencieuse par ici. Depuis le printemps 2016, la vie n'a particulièrement pas été un long fleuve tranquille.
En tant que personne pourvue d'une thalassémie mineure, lorsque ça barde dans l'existence, on fait comme tout le monde face comme ça peut. La différence est qu'il faut dormir dans les moindres interstices sans quoi davantage que d'autres, mais plus physiquement que moralement, on s'effondre. Ça laisse zéro temps personnel. Notre avantage est peut-être que malgré tout on ne souffre pas (ou moins ?) d'insomnies.
J'avais par ailleurs depuis octobre 2011 et d'être allée encourager mon ami Pablo au marathon de Bruxelles, un projet : celui de me mettre à la course à pied afin d'aller ensuite, si j'y parvenais, vers le triathlon qui me tentait pour son côté complet et pourrait m'éviter de commettre l'erreur de vouloir trop en faire et passer au marathon (1).
Avant de parvenir à m'y mettre, il m'aura fallu cinq ans, compte tenu du manque de moyens, de quelques coups durs (enfin surtout un lié aux attentats de 2015 à Paris), des imprévus de ma nouvelle vie professionnelle et du nombre limité d'inscriptions possibles dans un club à dimension humaine et chaleureuse ; et bien sûr je ne parle pas de l'ironie et du scepticisme de ma petite famille, mais ça n'est pas pour me laisser freiner que je suis parvenue à survivre jusque là. Ma famille d'origine était déjà en mode Tu n'y arriveras pas, sauf pour les études où des exploits leur semblaient insuffisants - à leur décharge passé un certain stade ils ne pouvaient imaginer à quoi ça ressemblait -. Curieusement, les personnes qui m'ont le plus encouragée et portée vers de nouvelles dimensions dans la vie, ont été celles qui m'ont quittée le plus violemment, sans signe avant-coureurs de rupture ou si peu, sans non plus que je les ai déçues (j'étais à chaque fois bien partie dans la direction qu'ils soutenaient, travaillant dur, en bon chemin) (2).
En l'occurrence, j'y suis parvenue et il aura fallu la maladie incurable et la mort de ma mère pour parvenir à me faire renoncer à un vrai programme d'entrainements.
J'ai pu préserver, notamment en me rendant autant que possible au travail à vélo et en calant courir ou nager au réveil, une sorte de minimum syndical et réussir à effectuer mes premières expériences au printemps 2017 et à l'été.
Il y aura eu le XS d'Enghien les Bains qui m'a appris à mes dépends que nager avec une combinaison était vraiment beaucoup plus différent que nager en maillot que ce à quoi on pouvait s'attendre. mais correspondait, sauf pour la nage dans ce lac boueux, à des distances trop courtes pour moi qui suis incapable d'aller vite - la thalassémie n'y est sans doute pas pour rien, mon cœur atteint vite des niveaux élevés, y compris avec un entraînement régulier -. 
Il y aura eu la tentative avortée de M à Deauville, nage interrompue car hors délais je m'étais avec une poignée d'autres laissée entraîner par le courant, j'étais passée trop loin des bouées. 1h15 après le départ j'étais encore au 2/3 du deuxième passage, avec l'illusion de bien avancer.
Et puis il y aura eu Thonon, où j'ai bouclé correctement la nage mais où je me suis laissée distancée à vélo. Mais j'étais dans les temps limites. Simplement la seule loin derrière les précédents, ce qui m'a valu les insultes d'un motard mais un soutien remarquable de la part de l'organisation dont une femme sympathique déléguée pour m'accompagner sur la CAP. Et qui voyant que j'allais bien, m'a fait un joli panorama de sa région, des explications sur ce qu'il y avait à voir, un peu d'histoire locale. Du coup je n'ai pas insisté pour une boucle résiduelle de 3 km que je savais pouvoir tenir mais qui aurait mobilisé encore du monde rien que pour moi.
Le problème en sport avec la thalassémie, si on ne l'a pas trop forte et qu'on s'entraîne sérieusement, n'est pas tant la fatigue, si on pratique c'est qu'on a su l'apprivoiser. En fait le problème réside dans la lenteur. Mon cœur fait d'emblée plus d'effort pour parvenir à l'oxygénation équivalente de quelqu'un d'autre, alors je ne parviens pas à tenir sur la distance un rythme pour moi soutenu (lequel équivaut à du "Un peu mou" pour les autres). En revanche pas de problème pour faire face à la fatigue de l'effort ni aux douleurs induites : elles sont une habitude et pas tellement plus grandes sous effort intense que sous les efforts banals de la vie.
Je me suis donc retrouvée par deux fois, l'une éliminatoire, l'autre non, reléguée au rang des défaillants. Que je n'étais pas, en fait, je me sentais dans les deux cas en pleine possession de mes moyens.
À suivre puisque bien sûr je compte bien repiquer au truc la saison prochaine, il y a pour moi un plaisir enfantin retrouvé à nager, pédaler, courir. La moi de douze ans n'a jamais été si heureuse qu'en cette année : mes plaisirs d'enfants avec les moyens de décision des grands.
En attendant, il n'empêche que je me suis prouvé que la thalassémie n'était pas un obstacle insurmontable pour réaliser certains rêves sportifs (3), y compris assez exigeants.
Et puis il .y a cette évidence : avec ces entrainements même incomplets, je dispose pour la vie quotidienne de d'avantage d'énergie. Et ceux qui viennent lire par ici parce qu'ils ou elles sont eux-mêmes / elles-mêmes concerné-e-s par la thalassémie savent combien ça s'apprécie.
PS : N'ayant pas dans ma vie un homme photographe, je ne dispose pas d'images personnelles de moi en pleine action. En revanche les amies du club m'ont prise après l'effort et je dépose deux de ces images ici : l'effet de la fatigue s'y voit. Mais aussi qu'on survit (fort bien) à ça.
(1) J'ignorais qu'en fait la plupart des triathlètes une fois dégrossis n'ont rien de plus pressé que de filer vers des distances de type ironman avec un marathon POUR FINIR. Pour l'instant je peine à boucler un M à l'intérieur des barrières horaires, je suis donc à l'abri.
(2) Une personne qui me soutient m'a un jour suggéré qu'ils avaient peut-être craint que je ne réussisse, et trop bien. J'ai plutôt tendance à me dire qu'avec toutes les embuches que je rencontrais j'ai mis trop de temps, qu'eux qui menaient une vie sans devoir faire face à une kyrielle de difficultés, estimaient que je traînais et se sont lassés.
(3) Rêve très raisonnable étant donné qu'il s'agit de devenir capable de tenir en théorie mon métier, lequel est plutôt physique par certains aspects, jusqu'à la retraite laquelle est pour l'instant en théorie à 67 ans.
[photos par Lis Belli et Vito Pe To, que je remercie]
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