Il est toujours si difficile de faire la part des choses : qu'est-ce qui dans mon état tient de la thalassémie à proprement dite, qu'est-ce qui vient d'un surcroît de manque d'énergie imposé par les déceptions sentimentales et le manque amoureux, qu'est-ce qui vient de ma tension sempiternellement basse et elle-même est-elle une conséquence de l'anémie ou pas ? qu'est-ce qui vient d'un effet d'âge (1) ?
Toujours est-il que c'est très récent pour moi, tout au plus quatre à cinq ans, d'avoir compris que je fonctionnais à l'inverse des êtres de pleine santé pour deux éléments essentiels : le sommeil et les activités (professionnelles en particulier).
Tout m'est fatigue, à part lire au lit. Mon corps est presque perpétuellement légèrement douloureux et chaque geste me demande un effort. Mon esprit est actif et je ne souhaite pas rester sans rien faire, et j'éprouve comme toute femme (2) du désir, une soif d'apprendre, un bien-être après un effort physique, mais précisément même une relative absence d'effort m'en demande. Me lever pour jeter un papier dans la corbeille, pour me préparer un café, c'est devoir rassembler mes forces, faire face (j'ai l'habitude, je "gère" comme on dit de nos jours) à un moment de tête qui tourne. C'est au point que j'évite dans la maison de faire des déplacements à vide profitant d'aller de la pièce A à la pièce B pour y déposer tel ou tel objet dont j'y aurai plus tard l'usage.
Je m'endors généralement à peine allongée. Le défi est d'arriver à temps jusqu'au lit, le bonheur c'est de pouvoir un peu anticiper afin d'y lire et que le sommeil ne survienne qu'après. J'ai longtemps cru, de même qu'un enfant suppose que la façon dont ses parents le traitent est universelle, que c'est comme ça, même s'il souffre, aussi chez les copains, que tout un chacun connaissait cette lutte. La lutte contre le sommeil qui (trop tôt) vient. Je n'ai compris que récemment que pour la plupart des gens la question se posait au contraire, d'être gagné par le sommeil ENFIN.
Pour le travail c'est la même chose, il y a mon travail personnel (l'écriture, un peu de choses ménagères) que j'effectue par nécessité pratique ou mentale, mais le travail pour gagner sa vie pour moi n'a toujours été qu'une contrainte. Une contrainte heureuse quant il s'est agi de travailler en librairie, mais jamais dépourvue de cette difficulté quotidienne qui est pour moi de tout simplement tenir le coup afin d'accomplir ce qui est requis. Une amie m'a proposé récemment un emploi temporaire auquel elle trouvait des aspects stimulants (il y en avait, je crois, pour quelqu'un de pleine santé et qui dispose chaque jour au réveil d'une quantité suffisante d'énergie, que les péripéties de fait peuvent encore renforcer, l'excitation des défis), je n'y voyais qu'un monceau infini d'épuisements ; un peu comme quelqu'un de très versé dans la diététique et qui connaitrait pour chaque aliment ses propriétés caloriques et nutritives et devant un menu ferait immédiatement la somme de ce qu'il va absorber, je voyais en face de chaque tâche à accomplir la masse d'énergie à fournir et le total dépassait de loin tout ce que j'aurais pu rassembler. Jamais je ne peux me dire, y compris lorsque ce qui se présente m'intéresse, y compris comme en librairie à des soirs de bonheurs lors de la venue d'auteurs amis, Chic alors allons-y. Je suis toujours dans le Pourvu que je tienne debout.
Il se trouve que quand l'activité me plaît, que je dois rendre un service, que ma motivation atteint un fort degré, le "pourvu que je tienne", porté par le bon moral et la volonté est plus facile à réaliser. Mais jamais je ne peux m'en affranchir.
La période que je traverse actuellement est financièrement menaçante puisque je suis sans emploi ; mais l'inquiétude est bien inférieure à l'intense soulagement de pouvoir traverser mes journées sans la crainte de n'en être pas capable, sans la peur de flancher. Je n'ai là aussi que très récemment pigé que la plupart des autres personnes souffraient dans un tel cas du problème inversé : un poids de se sentir inactif, d'avoir des forces inemployées. Je croyais que tout le monde pratiquait un travail - même ceux qui l'ont choisi, qui l'aiment et qu'ils passionne - par dure nécessité.
C'est un peu comme si ma vie, par rapport à celle des autres, était un négatif de photo argentique. Les éléments en sont les mêmes mais ce qui est sombre est clair et inversement. J'ignore si c'est définitif. Peut-être que ça serait différent si j'étais aimée par quelqu'un de solide sur qui je puisse compter.
(1) En fait j'ignore si je ressens comme une personne normale ceux du vieillissement. Par exemple j'ai une meilleure immunité que plus jeune, suis moins souvent malade des courantes infections. Mais globalement, la fatigue est-elle accrue ou pas franchement pire du fait du cumul des années ?
(2) Je dis toute femme simplement parce que pour les hommes je ne peux pas dire ; ne pas chercher dans cette précision une complication d'interprétation.
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