Chez quelqu'un que je lis avec régularité, qui est professeur et qui partage le quotidien de son métier, je vois ce soir la relation d'une "journée marathon" (l'appellation est de lui) :
"Je parle régulièrement ici des “journées marathon”, qui me laissent en fin de soirée un brin assommé."
Frais arrivé dans une région où il souhaitait travailler, il a pour l'instant un statut de remplaçant et se retrouve à devoir jongler entre des modifications incessantes de lieu de travail et de niveaux. Il décrit ce jour alors qu'il a dû faire le grand écart entre un lycée et un collège, et apprendre que finalement la semaine à venir serait avec d'autres classes pour partie. D'où un surcroît de fatigue après une journée déjà chargée.
(Prof en Scène, si vous passez par ici, j'espère que je n'ai pas déformé ce qui était décrit)
Tout ceci m'est familier, en plus que pendant un moment après un licenciement économique j'ai travaillée comme libraire volante et ce furent de belles expériences, mais se manger perpétuellement la fatigue de journées de travail sans repères ni jalons, puisque ni routines ni habitudes ne sont là pour nous aider à caler notre effort.
Tout ceci m'est familier mais hélas trop parfaitement. Avec la thalassémie, même mineure, toute journée de travail pour un employeur lorsque nous louons non pas notre travail (1) mais notre temps, est une "journée marathon". Y compris dans un poste que j'apprécie, y compris dans un environnement bienveillant (2), toute journée de travail de 7 à 8 heures et plus me laisse dans cet état qu'il décrit si bien :
"“Tout va bien, monsieur ?” me demande Chiara en sortant. Sa voix, pourtant aiguë, semble me parvenir de très loin.
Elle traverse le vide de sens dans lequel je flotte ce soir."
Je suis vidée, littéralement. Incapable d'éprouver le moindre sentiment, flottante et robotique (3). Toutes les journées de travail d'un plein temps sont pour nous des "journées marathon" à boucler en basculant dans un "mode sans erreur" comme les ordinateurs défaillants.
La bonne nouvelle est que l'on peut ainsi tenir le coup longtemps. Et s'en sortir.
(1) Dans certains métiers on peut être free-lance et fournir une mission. Si les délais à tenir ne sont pas trop délirants, ce qui est hélas de plus en plus rare, on peut s'organiser et se ménager les pauses nécessaires quitte à bosser ensuite plus tardivement. Mais le plus souvent on est salariés et ce qu'on loue c'est avant tout : notre temps.
(2) J'ai cette chance, pourvu qu'elle dure, que ce soit le cas actuellement.
(3) Oui, car le corps et cerveaux humains sont de remarquables mécaniques capables de s'adapter très loin. Ainsi on s'habitue à "faire avec" cet état flottant, rentrer chez soi du travail, fournir encore les efforts nécessaires à la soirée, toilette, dîner, d'éventuels enfants à s'occuper, des choses ménagères et de gestion domestique, avant de s'effondrer.
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