Alors voilà : ce matin, pour ma plus grande stupéfaction, je me suis réveillée EN FORME. J'avais mal aux jambes pour faire bonne mesure, mais il s'agissait de courbatures pour avoir couru la veille après deux semaines d'interruption climatique puis militante, et dansé l'avant-veille - une fin de chorégraphie qui tirait fort sur les cuisses -.
Il m'est déjà arrivé de me sentir dans cet état, j'avais même noté quelque part quels jours, quelles périodes. En tout quand je l'avais fait ça ne représentait que 3 mois sur une trentaines d'années conscientes (avant 10 ans je ne saurais dire, j'ai surtout le souvenir d'avoir été malade sans arrêt - rhumes, angines, bronchites le plus souvent, indigestions parfois -).
Il y a des moments de pleine forme qui s'expliquent par une période faste : le début d'un amour, une expérience passionnante (1). Mais d'autres qui ne s'expliquent pas, sinon par l'absence de malheurs lourds (pas de malade grave, pas de rupture récente, pas trop d'ennuis de travail ou d'argent). C'est quelque chose du corps qui d'un coup se passe bien, l'énergie est là, on n'a mal nulle part (sauf "exploit" sportif mal digéré voir phrase du début), les gestes ne demandent plus de rassembler une force pour être faits. Pour un peu on en deviendrait des dangers, peu habitués d'avoir de la force sans effort, il y a un risque non négligeable d'enfoncer des portes, de casser des objets.
On sent une apesanteur inhabituelle. Les pas sont rapides et légers.
C'est comme un voile qui se déchire, comme si l'on passait du noir et blanc à la couleur, comme si la brume se dissipait.
C'est si étonnant lorsque l'on souffre de fatigue chronique forte - et la thalassémie l'induit -, qu'il est difficile d'être efficace lors de telles journées : nous ne savons pas gérer un trop plein d'énergie, nous passons notre vie à essayer de la chercher par volonté contre un corps qui n'en peut mais, et voilà que soudain il nous reste du rabiot. C'est comme de vivre dans la pauvreté et gagner au loto.
Et puis c'est si agréable qu'aussitôt une appréhension s'installe : quand vais-je retomber à mon niveau bas ordinaire ? On se met à craindre le coup de pompe qui nous arracherait à cette béatitude inaccoutumée d'être pour une fois ce jour-là comme tout le monde. Les gestes les plus anodins : je suis assise à mon bureau et j'ai quelques papiers triés à jeter, je dois me lever pour aller jusqu'à la poubelle adaptée, allez ho hisse je le fais, allez, le deviennent vraiment. C'est d'ailleurs ainsi que je me suis rendue compte qu'aujourd'hui n'était pas un jour comme un autre, je me suis retrouvée debout près de la poubelle, sans avoir eu besoin d'y penser, les gestes de saisir les feuilles, se lever de la chaise, accomplir les quelques pas, jeter les déchets au bon endroit s'étaient fait tout seuls, sans avoir à rassembler l'énergie qu'il fallait.
Je crois que la situation compréhensible la plus proche serait celle de quelqu'un qui boiterait et ne saurait se déplacer sans canne et qui d'un seul coup se rend compte qu'il s'est levé, qu'il a marché, fait ce qu'il devait, sans même y penser.
La tête ne tourne plus. Peut-être que cette grande bouffée d'aller mieux vient d'une tension devenue normale au lieu de si basse la plupart du temps.
Ça fait presque un peu peur, on se demande s'il ne s'agit pas d'un éblouissement de mieux avant que le corps ne capitule devant un mal létal, une embellie d'avant une fin.
Et le premier jour s'il est d'une série, on perd tout simplement du temps à danser de joie.
(1) participer avec ma chorale aux concerts Stade de France de Johnny Halliday en 1998 a probablement changé ma vie. Un chef formidable m'avait alors accordé 4 semaines de congés (pouvoir les prendre d'affilée ne m'avait jamais alors été accordé) et j'étais allée aux répétitions en ne pensant qu'à ce travail de chanter. C'était à la belle saison. J'ai été en forme plus d'un mois durant, malgré les efforts intenses que ça requérait.
Un excellent moment passe a vous lire, un enorme compliment et felicitation. Merci enormement pour cette bonne lecture.
Rédigé par : Me Former | 31/12/2013 à 12:50
On en redemande !!! par ici je vous place dans mes favoris, et vous dit a bientot.
Rédigé par : Arrondir ses Fins de Mois | 16/01/2014 à 05:41