Du temps a passé, douze ans et quelques mois. Je ne regrette rien - et puis de toutes façons ce n'est pas moi qui avais décidé - et surtout pas cette rencontre qui m'a permis de changer ma vie, en pas facile, en mouvementé, mais en vraiment vivante. J'ai survécu, il y a eu d'autres duretés, beaucoup plus graves qu'une rupture individuelle (je pense aux attentats de 2015 notamment), il y a même eu de l'amour, ce qui m'aura permis un temps de consoler cette amitié si violemment brisée, même si ça ne se situait pas sur les mêmes plans.
J'y pense moins, je n'y pense presque plus (1) ; même si quelqu'un d'intime me manque, quelqu'un avec qui avancer, quelqu'un en qui avoir toute confiance. J'ai grandi : je sais que ce dernier point est impossible, nous ne sommes que des êtres humains faillibles. D'ailleurs si la survie immédiate est en jeu, nous pouvons tous être conduits à oublier notre humanité, fors quelques héros qui ne le sauront que confrontés à une situation de danger.
Et puis voilà que j'ai revu vendredi quelqu'un de cette époque-là. C'était joyeux et sans nostalgie, du moins pour moi. D'heureuses retrouvailles. Ça m'a sans doute remise en condition d'y songer.
Et voilà qu'en sortie de sieste, une longue et belle sieste profonde d'après (petit) triathlon, je regarde sur l'incontournable Twitter (2) les infos du monde et les nouvelles des ami-e-s, lorsque je tombe sur ceci :
qui est hélas un grand classique, des livres fabriqués à la va-vite en piochant à droite et à gauche et en espérant que le public ne sera pas le même que celui à qui on a pompé non seulement les idées mais l'essentiel des phrases.
Un autre touite que je n'ai pas retrouvé disait, qu'elle avait feuilleté le livre en librairie, peut-être même failli l'acheter, avant de se rendre compte que quelque chose n'allait pas.
Ça m'a alors rappelé ce petit livre publié en 2006, en janvier commande chez une édition de musée à l'occasion d'une expo que j'étais allée voir. Je ne sais plus par quel biais j'avais été averti de sa publication mais je suis certaine que l'amie ne me l'avait pas envoyé, alors qu'elle l'avait fait de tous ses ouvrages depuis que l'on se connaissait.
J'ai le souvenir, et c'est ce que le touite de Noémie Renard m'avait rappelé, de le découvrir et le feuilleter à la partie vente d'objets du musée. Et de me dire aussi "Ce texte m'est familier" (ou du moins des passages).
À cette époque la rupture n'était pas encore consommée. C'était la phase "une amie proche est aux abonnés absents", et comme il y avait eu un prix littéraire en novembre et qu'elle était déjà sur-occupée avant, je prenais mon mal en patience, triste mais compréhensive ; d'autant plus que nous nous étions croisées en une occasion professionnelle (3), ça avait l'air d'aller. C'était d'ailleurs moi qui n'avais pas traîné car je venais fatiguée du travail et que j'étais venue chercher un livre (de quelqu'un d'autre) pour quelqu'un d'autre.
Ce qui fait que lorsque j'avais retrouvé dans ce petit ouvrage des phrases de mon cru, ou très proches, d'ailleurs le titre même, je m'étais sentie plutôt encouragée et reconnue. Il s'agissait de moments pris dans des messages personnels mais évoquant des choses générales. J'y voyais plutôt le signe que lorsqu'elle serait sortie de la période infernale de se devoir à beaucoup d'instances et de gens nous reprendrions nos moments partagés, nos "après l'"Usine"", et qu'elle continuait ainsi à m'encourager d'écrire.
C'est seulement aujourd'hui, en apprenant le cas de cet homme qui visiblement a largement compté sur le fait que son livre de papier ne serait pas vu ou lu par les mêmes personnes que ces internautes auxquelles il a empruntées phrases et idées, que je me demande si la rupture si nette et violence du mois suivant n'avait pas pour but de m'éloigner d'un ouvrage que j'aurais pu estimer un peu trop inspiré par mes propres trucs. Et peut-être aussi de se vouloir loin de la tentation renouvelée de puiser à nouveau, dans l'urgence de commandes et d'argent à faire arriver, dans ce que je pouvais fournir au quotidien par brassées.
En attendant, douze ans plus tard (12 ans !) je me demande si c'était ça, au fond, la principale raison de la rupture qu'elle avait décidée, tenter de masquer quelques emprunts, pour n'avoir pas osé en parler au moment même - et qu'ensuite il était trop tard - ? Me tenir éloignée de cette publication au moins, en me forçant à la considérer comme quelqu'un de dangereux, en me dégoûtant de suivre son travail.
Ce fut un fiasco puisqu'autant j'ai décroché absolument du travail d'un homme bien aimé depuis qu'il m'a quittée - il faut dire qu'il l'a fait pour avoir les coudées franches de co-écrire avec sa dulcinée -, autant concernant le travail de mon ancienne amie, j'ai réussi à faire la part des choses et continué à apprécier ce qui le méritait.
Son exemple n'étant pas le seul, même s'il fut le seul à me faire flancher, je finis par croire que la plupart des personnes d'un certain milieu social ont un sens des liens affectifs bien gauchi par celui de leurs ambitions nécessaires à se maintenir, en monde féroce, au minimum là où ils sont.
(1) En fait j'y pense surtout pour de belles choses que j'eusse aimé partager. Celles pour lesquelles il n'y a plus personne que ça pourrait amuser ou toucher, du moins dans mon entourage immédiat.
(2) Lequel n'existait pas ou balbutiait à peine à l'époque de la défunte amitié qui me fit créer ce blog tourmenté.
(3) Quand j'y repense je menais déjà passablement une #VieDeLibraire
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