Quatre fois quittée de grands amours ou d'une très grande amitié ; à chaque fois sans que la relation ne se soit préalablement dégradée ou que j'en fus consciente et donc c'est comme de se faire flinguer. À bout portant. Trois fois pour des (fausses) blondes. Une fois pour une grande actrice que j'admire - quand je l'ai compris, ça a moins brûlé, en plus qu'elle a pris la peine un jour de me téléphoner, me sauvant sans doute de continuer telle un spectre à errer : j'avais donc existé, même si l'amie commune m'avait purement et simplement effacée avec tout ce qu'on avait partagé (se souvient-elle seulement que je fus à ses côtés ?) -.
Il y eut le premier amour, trop court, pas assez sexualisé alors que ça n'était pas l'envie qui lui, ni m'en manquait. Mais voilà elle était la femme de ses rêves, même milieu social, même langue, même religion et d'une intelligence supérieure. De celles que lorsqu'on fait sa connaissance, on ne peut en vouloir à l'homme, on comprend. D'autant plus que, je l'ai hélas compris au vu de la façon lamentable dont les autres m'ont traitée, ceux d'après, qu'il avait fait les choses on ne peut plus correctement : il habitait loin et avait pris le train, malgré un budget étudiant étriqué, pour venir me prévenir et me faire ses adieux. D'avoir été respectée a fait que malgré une souffrance épouvantable qui m'a tenue sept ans quand bien même un nouvel amour naissait, celui pour le père de mes enfants, je n'ai pas été plus d'une ou deux journées réellement en danger.
Il y eut l'homme de ma vie, dont j'ai compris assez vite qu'il avait besoin de toujours voir ailleurs, se rêver avec d'autres à défaut de les embarquer. C'est très pénible d'être en compagnie d'un homme qui ne cesse de guetter du regard les passantes comme si l'on n'existait pas. On était assez libre même si je n'en profitais pas. Il y eu quelqu'un de son côté, je relevais d'une naissance, peinais à la reprise du travail, ai cumulé tous les ennuis (le boulot, les amours), puis il a semblé revenir, son père était tombé malade, et voilà que j'étais utile. C'est peut-être ça mon drame : je suis toujours utile. La secourable de service.
La vie quotidienne était un suffisamment rude combat pour que je ne pense à rien d'autre qu'à tenir de chaque matin à chaque soir, sombrer dans un sommeil sans fond, me relancer le lendemain. E cosi via.
Quinze ans après, un soir en théorie heureux d'opéra - qu'est-ce qui lui avait fait penser à celle-là ? - il m'annonça que je n'étais pas la femme de sa vie, mais à ma place une blonde comme lui, rencontrée quinze ans plus tôt et qui aurait pu lui donner les enfants qui lui ressemblait, ce qu'à l'évidence je n'avais pas fait, brune comme je suis (1). J'ai cru qu'il s'en allait. À nouveau le sort nous a balancé suffisamment de catastrophes et de maladies de tout proches auxquelles nous avons dû faire face, et d'ennuis de boulot et toutes sortes de choses pour que trop occupés à survivre on laisse les états d'âme de côté - du moins de mon point de vue c'est comme ça que ça s'est passé -. J'ai perdu par sa confession tardive l'amour que je lui portais. Tous mes souvenirs communs de ces quinze années ont été entachés de doutes, contaminés : ainsi donc pendant tel ou tel moments apparemment si heureux que nous avions partagés c'était à une autre qu'il songeait ?
Ce fut la saison, sans doute parce que je n'étais pas devenue très marrante, encore qu'en retrouvant des messages j'ai pu constater à quel point je m'étais efforcée de ne pas peser, pas trop dire, pas pleurnicher, que choisit ma grande amie, la plus intime, la presque sœur, pour me dire à une occasion de revoyure dont je me réjouissais C'est mieux qu'on ne se revoie plus.
Sans aucun signe avant-coureur si ce n'est qu'elle ne répondait plus trop à ses mails, mais sa sur-occupation professionnelle, un prix littéraire, la pente ascendante du succès suffisait à expliquer son manque de disponibilité. Il n'y avait jusque-là eu aucun nuages, je m'imaginais pour cause d'amitié (et non pas d'amour) à l'abri des sempiternels problèmes d'exclusivité, mais voilà, sa tendresse et son affection s'étaient, sans que je le sache déplacées ailleurs, et tout soudain, j'étais de trop.
Des coups durs de l'amour je commençais à être habituée et à avoir intégré que je n'étais pas la femme du nord qu'il leur fallait, all brainwashed boys, mais l'amitié c'était mon mur porteur. De toutes les ruptures subies et parce qu'elle dépassait mon entendement, c'est celle-ci qui m'a mise en danger. Je n'ai pas eu trop de tous mes autres amis dont certains de très grandes qualités et avec l'intuition qu'il fallait, pour en réchapper (merci en particulier Pierrot, Satsuki, Kozlika, Claude, merci merci). Plus tard un film, (2) puis le troisième homme aimé (3), m'ont permis de comprendre qu'il y avait des précédents, qu'avec moi elle n'avait fait que récidiver. J'étais simplement plus fragile que les autres puisque par ailleurs mal aimée et en plein parcours de transfuge. En grande partie grâce à elle qui me laissait tomber en plein milieu du gué.
Un an et demi plus tard je rencontrais F., en se parlant de livres, tout simplement, et alors qu'il avait lu l'un de mes textes sur un de mes blogs. À coup d'étranges impondérables (une hospitalisation d'urgence de son plus jeune fils, un prix littéraire remporté ...) nous mîmes un an avant de nous rencontrer. Son premier regard ressembla a celui d'un homme qui tombe amoureux, et comme un peu surpris de tant me désirer (regard que je retrouve sur les photos actuelles qui le montrent avec sa nouvelle femme, qu'il semble si fier d'exhiber, je n'ai donc pas rêvé). Il s'agissait d'une fête professionnelle, il était accompagné de jeunes collaborateurs et de ses deux plus jeunes fils, ça ne s'y prêtait pas que quoi que ce soit ait lieu déjà. Mais son texto du lendemain tôt, si heureux qu'on se soit rencontrés et les mots doux qu'il m'envoya les mois suivants, sollicitant qu'on se revoie, les brefs (je bossais) allers-retours que j'ai fait à Bruxelles, ce qu'on se disait alors, la tendresse, tout semblait indiquer que l'amour y était. J'étais délaissée (voir second paragraphe), et très souffrante du grand chagrin fuligineux d'amitié précité, une proie facile.
Il a attendu que je sois prise et bien prise pour m'envoyer un mail stipulant que notre relation n'était absolument pas amoureuse, que je n'étais pas attirante pour lui (4). Je me suis éloignée (logique), non sans souffrir à nouveau, supputant vaguement qu'il avait en fait rencontré une femme séduisante et regretté du coup de m'avoir entreprise. Il est revenu me chercher. J'ai protesté : ce n'est pas une façon de traiter une femme, envoyer de tels mots d'amour puis la rejeter sans que rien n'ait eu lieu qui puisse l'expliquer. Il a concédé m'avoir un temps "envisagée". Ç'en sont suivies quatre années étranges d'une relation platonique (5), avec des périodes où il semblait pris par d'autres, puis à nouveau très très proche (sans doute que ça n'avait pas marché). Jusqu'à ce jour de juin où alors que je venais d'avoir confirmation que j'allais perdre dans les mois qui venaient mon travail de libraire - donc ne plus pouvoir lui être directement utile dans son travail - et que 8 jours plus tard je devais recevoir avec une amie libraire, une auteure italienne qu'il publiait - donc trop tard pour annuler d'autant que la jeune femme ne m'avait rien fait -, au coin d'un mail portant surtout sur ce boulot, avec un côté Au fait j'allais oublier, une désinvolture inouïe, il m'avait signalé qu'il avait rencontré quelqu'un, que les textos (pourtant jamais sexuels, seulement tendres et proches) que je lui envoyais lui pesaient désormais et que je devais m'en tenir à une stricte amitié d'ailleurs il me l'avait déjà dit. Là aussi, ce que j'avais perçu de début de mise en distance, je l''avais mis sur le compte de son travail qui montait en charge et c'était si plausible : un financier était venu renflouer les caisses de sa maison d'édition, il fallait passer à la vitesse supérieure. Il y avait juste eu cet aller-retour à Paris en une journée, le 4 juin, sans même prendre le temps qu'on partage un café, qui m'avait laissé entrevoir que quelque chose clochait. Pendant des années malgré nos difficultés financières nous nous étions vus dès que ça pouvait.
Cette fois-ci, je suis partie. Je devais me sauver. La rupture fut l'occasion d'apprendre des choses inquiétante sur son passé - heureusement qu'il reste entre femmes une forme de solidarité -. J'étais loin d'être la seule qu'il avait mise en danger. À tout prendre peut-être que le fait qu'il n'ait été capable de rien avec moi m'avait protégée d'être bien plus gravement blessée. L'homme que j'avais si profondément aimé était une sorte de Ted Hughes en moins vigoureux. Les femmes dans sa vie comme des pièces sur un échiquier. Et je te considère. Et je te sacrifie. Et finalement tu ne seras pas la reine mais un simple pion. Comment ça, tu ne veux pas ?
Heureusement que le deuxième délaisseur semble à nouveau me considérer comme une femme aimable - sans doute des déceptions aussi de son côté -, même s'il m'a trop peinée pour que je puisse à nouveau à la confiance me laisser aller. On s'entend bien.
C'est quand même une drôle de vie que d'être toujours l'indésirable après avoir été celle qu'on tenait à avoir auprès ; dans chacun des cas c'était l'autre qui venait vers moi et jamais moi qui m'efforçais de plaire, séduire comporte une part d'artifice dont je suis incapable. Quelque chose en moi ne convient pas, et que le fait de n'être pas belle et de n'être plus jeune n'arrange pas. À présent les hommes de mon âge sont en âge de ne plus pouvoir faire l'amour sans cialis ou viagra. Ça non plus ça n'aide pas.
C'est peut-être aussi que j'ai trop bien intégré ma fonction naturelle de consolante, celle qui rejoint vos vies quand ça ne va pas, aide à se refaire une santé mentale, professionnelle (et souvent financière, par ricochet), parfois physique (je savais rendre un homme heureux), et qu'on balance après puisque redevenus éligibles à mieux ; en plus que dans ces cas, à aider en période difficile, on s'est transformé en témoins encombrants de la période pénible que le secouru souhaite vite oublier. On devient malgré nous l'incarnation du souvenir des grandes difficultés.
Ça et le fait de ne pas savoir percevoir à temps que l'autre s'est déplacé et que les mots et les attitudes affectueuses ou amoureuses qu'on offrait et qu'il chérissait sont devenue pesantes puisqu'il est passé au niveau de jeu d'après.
Enfin, d'être à rebours de l'air du temps et refuser héroïquement de tricher sur mon apparence (à moins d'un rôle que je tiendrais), car c'est aussi refuser de prendre les hommes pour des imbéciles, ne participe guère de mon pauvre potentiel de séduction. Il doit bien en exister qui sont assez vaillants pour trouver attirante qui ne doit rien aux cosmétiques ni à la chirurgie. Et d'assez peu conditionnés pour s'en foutre de la blondeur. Mais pour l'instant j'en ai peu croisés.
Heureusement que j'ai deux bons enfants, que je trouve beaux de toutes façons, et par ailleurs de très bons amis de ceux sur qui l'on peut compter, malgré leur propres impératifs et leur lot de soucis. Être toujours celle qu'on quitte, à force, devient minant ; alors oui, heureusement.
(1) Encore que, vu mes ascendance normande et les couleurs maternelles, à la loterie de l'hérédité ça aurait pu. Mais voilà, les enfants ne sont "que" bruns.
(2) Là on voit mieux "Je n'ai rien vu venir"
(3) Il s'est trouvé qu'il la connaissait mais je ne l'ai su qu'un an et demi après, sidérée.
(4) Très contradictoire avec ce que j'avais reçu de lui et bizarre : nous avions parcouru ensemble automne-hiver et début de printemps il ne m'avait vue qu'en chauds et plutôt épais vêtements, comment pouvait-il être si péremptoire quant au fait que mon corps lui déplairait ?
(5) Un jour au "Pain Quotidien" il avait fini par me dire, les yeux remplis de larmes que l'amour pour lui c'était fini, qu'il ne pouvait plus. Alors je lui ai pardonné son "pas attirante" et j'ai puisé dans un roman de Romain Gary, la force de l'aimer même si j'en demeurais physiquement éprouvée avec ce désir qu'il n'avait suscité que pour mieux le condamner.