Je viens de répondre à un billet de Jaddo qui semblait demander notre avis. En tant que patiente, je n'ai rien contre un contact rapproché avec les soignants, sauf s'ils semblent avoir un problème. Pourtant dans la vie je suis du genre distant sauf pour les personnes envers lesquelles j'éprouve une forme forte de complicité, d'amour ou d'affection. Ces dernières années je suis devenue particulièrement sensible au bien-être qu'il peut y avoir à être prise dans les bras par certains garçons chaleureux, hors de tout contexte amoureux.
Il n'en demeure pas moins que d'une façon générale et sauf conditions particulière (la presse dans le métro ne me gêne plus, si personne ne pue), j'ai besoin d'une bulle assez large autour de moi. Je sais bien un peu pourquoi : mes parents s'entendaient mal il y avait toujours une potentialité de violence et je n'ai pas souvenir de leur avoir vu les gestes tendres, du coup je ne sais pas bien ce que c'est. Ensuite j'étais de banlieue et assez facilement ça castagnait. Donc de l'autre il faut se tenir à distance suffisante pour pouvoir sinon riposter, du moins bloquer un bourre-pif qui jaillirait ou avoir le temps de l'esquiver.
En revanche le toucher de soin, non seulement ne m'est jamais paru déplacé, mais m'a probablement sauvée (ou y a fortement contribué). Je relevais d'un chagrin d'amour infligé par l'homme de ma vie, ce qui n'est pas rien, et d'une rupture de grande amitié sidérante (aucun signe avant-coureur, rien), ou plutôt je ne m'en relevais pas. Ce que j'avais ressenti était que tout soudain ma meilleure amie, mon âme-sœur avait voulu m'éliminer ; de sa vie, c'était on ne peut plus clair ; de la vie sur terre, c'était ce que j'avais ressenti. Comme si elle m'avait flinguée à bout portant. Tout juste si je ne me souvenais pas de l'odeur de la poudre (probablement du fond du désespoir un vague délire rimbaldien).
Une amie très proche m'a alors conseillé le shiatsu. Elle-même y avait eu recours pour s'apaiser d'une rupture moche - le type qui semble fou amoureux fou, puis se fait distant, ensuite absent et n'explique rien -.
Elle m'avait confié l'adresse de son kiné. Je l'ai écoutée, j'ai tenté.
Il m'a lors d'une première séance tout bien expliqué, cartésienne, je n'étais pas convaincue. Mais la vie m'a appris que les très bons soignants peuvent parvoir utiliser pour exercer leur art des vecteurs déroutants. En cette période de naufrage j'avais même caressé le projet (abandonné car trop coûteux) de tenter toutes disciplines qu'on me proposerait et voir si quelque chose sauverait. Je m'étais arrêtée avant le marabout ou le tarologue.
C'étaient les proches d'entre les proches qui m'avaient fait le plus grand mal, mise en danger. J'étais alors dans l'état d'une bête aux abois. Je crois qu'à part par mes enfants, les médecins et les temps de saluts que requièrent la vie sociale, je n'étais plus capable de me laisser approcher. Quelque chose en moi tenait du chat farouche.
Les premières séances me furent très difficiles, l'essence du soin était tactile, je devais me laisser toucher beaucoup plus que lors d'une consultation médicale. J'avais toute confiance en ce praticien, mais c'était la partie animale de moi qui voulait s'enfuir. Ce que je ne faisais pas, au prix d'un gros effort. Je tombais en larmes à chaque fois. Des larmes très calmes qui coulaient sans bruit et malgré moi. Au bout de longs mois, à force de patience et de compétence de l'homme de l'art, l'animal paniqué en moi s'est calmé. Le chagrin n'a pas cessé, mais j'avais recouvré une capacité humaine de me laisser approcher. Et je n'étais plus en danger de désespoir absolu.
Ma vie n'est toujours pas redevenue normale, des pans entiers ont été esquintés et j'ai eu la malchance d'enquiller sur un chagrin d'amour qui avait tout pour me faire rechuter (là aussi une situation difficile à expliquer). Je ne sais plus vraiment faire l'amour alors que j'étais une femme pour qui la sensualité importait.
Entre temps le shiatsu était devenu une hygiène de vie, d'autant plus que le praticien connaît à présent mon corps par cœur et sait les zones à travailler pour éloigner ses douleurs usuelles. Hors de toute théorie je sais que ça tient précisément au fait d'être touchée et par quelqu'un qui n'en profitera pas pour me tuer, sauf à s'être recyclé soudain en tueur à gages. Car de mes malheurs si j'ai retenu une chose c'est que tout peut arriver.
En attendant, oui, quand il s'agit de soins, tripoter, c'est (plutôt) bien. Et d'autant plus qu'être malade c'est sentir son corps par la souffrance isolé de ceux des autres, lesquels ont alors tendance (sauf le médecin) à s'en éloigner.