Tu ne le connaissais pas personnellement, mais vous vous croisiez. Soirées liées aux livres, de loin en loin. Et puis les gens ont des vies, déménagent, changent de centres d'intérêts, pour ceux qui n'étaient pas à proprement parler des amis, simplement des connaissances sympathiques, avec lesquelles il faisait bon échanger quelques mots à l'occasion d'un rassemblement, de la soirée de fête pour une parution, le temps fait rapidement son œuvre d'éloignement et d'oubli.
On se dit, tiens, le gars sympa qui était là avec Léo, l'autre fois, comment c'était son nom déjà ?, ça fait un bail qu'il ne vient pas. Parfois tu te le dis et tu poses vraiment la question à quelqu'un de plus proche. Parfois même pas : ta vie est suffisamment intense - même si de l'intensité des difficultés - pour que la pensée reste fugace, c'est lors d'une des soirées où il aurait pu être là, il y a du monde, on te parle, tu es dans une conversation, tu penses à autre chose, tu ne t'attardes pas. Et puis les gens jeunes changent si facilement d'amours et de logements. Peut-être vit-il ailleurs. Peut-être qu'il venait de loin et très exceptionnellement.
Et puis en parlant d'un camarade commun qui traverse une période terrible, quelqu'un en vient à évoquer celui auquel tu ne songeais plus, dont tu ignorais même le nom de famille, et trois ans et demi après voilà que tu apprends qu'il était mort d'une mort brutale et accidentelle (1), tu apprends même le fin mot de l'histoire et tu sais que désormais tu songeras à lui au moins presque tous les dimanche à l'heure du petit déjeuner.
(1) À la réflexion sans doute que quelqu'un te l'avait dit mais tu n'avais pas fait le lien entre une identité annoncée et le gars que parfois tu croisais.
La capacité de tes neurones à conserver deux informations concernant en fait le même sujet dans un parallélisme absolu ne cesse de t'étonner.