Je m'étais trompé de jour pour ce rendez-vous littéraire, quelqu'un dont l'œuvre m'intéressait, un homme peut-être en forme, savait-on jamais, puisque celui qui était censé m'aimer (du moins le prétendait) ne remplissait pas entièrement son rôle et que celui que j'aimais après qu'il m'avait séduite m'avait rejetée, un peu comme s'il avait voulu tester ses capacités de séduction mais surtout rien plus avant.
J'ignore dans quels trésors d'amour-propre vont piocher les hommes quand ils décident de ne pas aimer, comme si ça se décidait et moi toujours prise et bien prise, incapable de rêver d'un autre et ne faisant rêver personne, non sans lien de cause à effet. Comment sembler désirable lorsqu'on ne désire pas ?
Et les amours ancillaires de ce politicien en vue, et bien plus encore "après", qui me plongeaient d'un côté comme de l'autre dans la plus profonde des perplexités : en admettant qu'il ne se fût pas agi d'un coup monté, moi qui ces 5 dernières années n'avais connu (1) que des hommes qui arrivés aux alentours de 50, peinaient, j'étais incrédule d'entendre qu'un soixantenaire pouvait se montrer soumis à un désir irrépressible ; en tant que femme, je comprenais mal qu'on refuse du bon, à moins d'être très amoureuse par ailleurs et comblée. Autant dire le cas de pas grand monde.
Bref, locales ou générales, je n'y comprenais plus rien, des relations entre humains.
J'avais bossé par ailleurs comme une brute, afin d'aider à une sorte de déménagement sur place. Et le libraire que j'aimais bien avait publié un bouquin. Je pouvais m'en accorder 5, que j'avais achetés, qu'il m'avait dédicacés pour ceux qui comptaient pour moi et se trouvaient susceptibles de par leurs métiers d'être intéressés par l'essai.
Au delà de tout épuisement, malheureuse du rendez-vous manqué, laminée par l'absence non seulement physique, à laquelle j'avais fini par me résigner à coup de subterfuges chagrinés, mais désormais affective (2) de mon bien-aimé, prise d'un coup de ces fringales sans appétit que j'ai (3), j'échouais dans un café (4). Il était juste assez peuplé pour donner l'impression que l'établissement était apprécié, mais pas non plus trop, ce qui permettait tant qu'à être solitaire, de s'installer au calme d'un coin.
Le temps d'attendre le plat, je consultais les dédicaces, songeant déjà aux mots d'accompagnement pour ceux que je ne verrai pas, celui qui habite loin, celle qui doit se protéger (et loge de toute façon en banlieue), celle qui préfère qu'on ne se voie pas. J'ai alors compris combien l'auteur avait pris soin qu'elles soient personnelles, et m'en sentis émue, délicatement touchée. Réconfortée.
Plus tard, me vint la pensée que je n'avais aucun amoureux, au sens du 3 en 1 (5) qu'avait longtemps occupé le père de mes enfants, avant que sa tête ailleurs ne tourne, auquel envoyer le bouquin, aucune amie intime comme V. l'avait été, personne à qui confier le livre le cœur un peu battant, le very special something for a very special someone.
Malgré les bons amis, j'étais seule et bien seule.
Le plat fut délicieux, le service parfait (6), l'addition raisonnable. Et cette bonne fortune d'un hasard d'erreur (de calendrier) et de faim, fut ma consolation d'un soir solitaire.
(1) assez peu physiquement, mais un nombre certain qui s'en confiaient.
(2) une autre porte désormais ses pensées et qu'il prétend ne pas aimer.
(3) Je n'ai pas faim mais me sens au bord de l'évanouissement vidée.
(4) Le Killy-Jen
28b bd Diderot
75012 Paris
(5) partage du temps, du lit et des plus forts sentiments.
(6) ni trop rapide, ni trop pas.
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