Quand on va déjà mal, qu'on se sent égaré, toute fissure fait faille vite fait. Ce qui en d'autres époques de soi aurait prêté à rire, met au coeur un pincement, aux yeux une tristesse, en tête une déception.
On se dit, voilà, un de plus qui s'enfuit et qu'on aimait pourtant.
Le plus souvent, au fond, on ignore la raison.
C'est l'ami avec lequel parfois on conversait, sur un support ou bien un autre. Il habitait jadis Paris et l'on se croisait sans prévenir, on partageait de bons moments. Parler de livres le plus souvent. Et puis il déménage, se charge de famille, se fait moins disponible, c'est normal. Sa vie professionnelle est plus que bien remplie et de succès bien mérités. Bref, on s'éloigne.
Mais reste ce lien électronique et qui permet de loin en loin d'échanger des nouvelles ou des encouragements.
Et puis ce matin là, avoir un peu de temps, une info à transmettre, se dire, tiens ça fait un bout de temps, se connecter, tenter de le joindre et s'apercevoir qu'il n'est plus inscrit ou plutôt qu'on ne fait plus partie de ses contacts actifs, que l'on n'est plus reliés.
Au normal de soi, savoir qu'on n'aurait pensé que quelque chose n'a pas correctement fonctionné, envoyé un message de réinscription, peut-être une inadvertance, et d'ailleurs oui c'est ce qu'on fait, envoyer cette demande comme aux tout premiers temps.
Seulement puisque d'autres et de plus proches nous ont déjà coeurs, corps et âmes quittés, ne pouvoir s'empêcher de se dire qu'on était là aussi de trop et que cet effacement est un ferme adieu muet.
C'est le pote de toujours qui marie un fils qu'on a connu bébé, mais n'en dit rien avant de publier sur son site quelques joyeuses images. Y serait-il inscrit et franc que sur un site social fort répandu, il répondrait "C'est compliqué" à une rubrique bien connue. L'on suppose donc une noce discrète en petit comité. Deux bonnes raisons qui n'étonnent pas de n'avoir pas été invitée. Mais comme c'est étrange qu'il n'en ait pas, au moins par mail, parlé. Il devait être content, la bru est si belle, ils semblent si heureux. Quelques préparatifs ont dû exister. Il fut un temps pas si lointain où l'on se tenait chaud, on se suivait de près. On aurait aidé si coup de main à donner. Pourquoi n'avoir pas raconté ?
Au normal de soi, on se serait dit qu'il avait trop bossé (et c'est sûrement le cas) et arrivé juste à la veille, pas le temps de se préparer et que précisément les photos sont là pour pallier la précipitation et prévenir les copains. On aurait râlé pour la forme : ben t'aurais pu payer ton coup ! Ça s'arrose !
Il l'aurait sans doute fait.
Aujourd'hui, on n'ose pas. Peut-être que son silence est le signe d'un besoin d'air, d'une nouvelle vie qui se construit et on se sait de l'ancienne. Reste ce faible espoir qu'un jour prochain le coup offert soit proposé, c'était prévu, juste un délai ...
C'est un ménage dans la part personnelle de la mémoire d'un ordinateur pro.
Il fut un temps pas si lointain où à condition bien sûr que le travail n'en souffre pas, étaient très officiellement tolérées des pratiques de messagerie personnelle et usage parfois privé de la bécane dont on disposait. L'internet familial n'était pas répandu ou comportait des limites drastiques de temps de connexion. On éclusait donc du bureau quelques échanges. Mon job nécessitant des temps parfois importants de transferts de fichiers, plutôt que de contempler l'écran en baillant sur cette perte de temps, il m'arrivait ainsi qu'à mes collègues surtout ceux qui chez eux n'avait pas d'équipement, de consulter régulièrement et parfois d'écrire un message ou un autre qui ne pouvait attendre.
A présent, les machines sont devenues impersonnelles, interchangeables et il convient de sauver rapidement nos propres données sous peine de tout perdre.
J'obéis aux ordres et passe en revue le contenu des anciens répertoires.
Je tombe ainsi sur un petit dossier d'archives qui contenait quelques photos qu'on m'avait envoyées, les copies aléatoires de mails, pas nécessairement d'un grand plus grand intérêt que d'autres qui furent effacés, mais probablement ceux qui nécessitait de ne pas attendre (ils sont tous très concrets, un rendez-vous, une adresse transmise, un train à prendre ...). Ils datent pour la plupart de l'automne 2003. Parmi eux la copie d'écran d'un enchaînement très beau de deux ou trois messages : d'anciens amoureux, parents ensemble de deux enfants, séparés par la suite et qui m'écrivent sans deviner que leurs mots se voisinent et que leur proximité chez moi se trouve reconstituée.
Seulement la principale personne concernée est sortie de ma vie depuis.
Et ce qui m'avait fait sourire alors, attendrie, me fait désormais pleurer.
Je clique sur "supprimer" mais ne peut en faire autant au bord douloureux de ma mémoire brisée.
Ce qui 3 ans plus tôt eût été anodin, vite oublié ou attendrissant, devient un sel versé sur la plaie et qui l'empêche une fois de plus de cicatriser.
Quand on se sent de trop c'est peut-être pour toujours.
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