Je me réveille en fredonnant un air de chansonnette. C'est la première fois depuis presque trois ans je crois. Je fus pourtant quelqu'un avec musiques en tête, ritournelle ou choeur d'opéra. Mais j'ai également perdu ça. Perdu dans le bannissement, au même titre que la confiance, la capacité de rire à plein choeur, désir, plaisir, sensualité et joie et coeur qui bat ; avec le goût de régaler mes hôtes de bonne cuisine et qui a fui comme faire l'amour.
Pas même eu le temps de rien mettre en carton, dans l'espoir de passer un jour récupérer toutes ces capacités.
Comme j'ai en plus passé la dernière soirée, à pleurer auprès d'un de ceux qui m'ont réduite à ce sale état et ne le comprend pas et ne fait rien pour réparer ce qu'il a pu briser, je m'en suis trouvée agréablement étonnée de cet air inopiné.
Et puis se sont formées les paroles assorties, et j'ai compris que le bon signe était fort mauvais.
Je sais en plus pourquoi.
Il vient en réponse à un message fort amical et presque tendre reçu la veille de la part d'un de mes amis d'après et dont je me demande chaque jour par quel miracle il se soucie. Il n'a connu de moi que la personne brisée et complètement paumée dans un monde où l'on se fait éliminer par ceux qu'on a aimés.
L'ami tente de m'aider. Il m'engueule gentiment. Il est logique et cohérent. Seulement je suis trop désespérée pour parvenir à saisir la main qu'il me tend.
Bloquée sur ce qui s'est joué dans ma propre existence et que je ne comprends pas, bloquée par le silence en plus de l'absence et de l'absence d'explications. Bloquée par une foule de questions corélatives et qui remettent en cause ce qui me constituait.
Je ne sais pas vivre sans confiance. Mon mari l'a brisée il y a plusieurs années, sans réfléchir un seul instant aux conséquences possibles et cinq mois plus tard une autre rupture, plus profonde et sidérante, précédée par le silence, inexplicables (pour moi) et inexpliqués (par qui me les a imposés) a arraché le déjà peu qu'il en restait ; sans parler de quelques amis intimes que notre collection de malheurs et probablement la maladie ont effrayés alors que je les croyais (naïvement) de première qualité et à toute épreuve - nous en avions tant traversées sans que notre affection ne soit endommagée -.
"Rien ne t'efface, je pense à toi"
et je me demande quand même, parfois, comment tu t'accommodes de ta fuite, qu'une raison intérieure, impérieuse, irrationnelle peut-être (je finis par le croire) l'aie provoquée, d'accord, mais pourquoi ne pas avoir respecté notre lien en me parlant, en me prévenant d'une difficulté, d'un inconfort, d'une réticence à mon égard apparue au lieu de me laisser croire à trop de travail et de déplacements pour répondre aux messages (ce qui m'arrive à moi aussi et que je peux donc inévitablement interpréter ainsi) ?
Comment, par quel déni, toi qui es sensible et attentive (aux autres), tu peux d'accommoder d'avoir laissé tomber une jeune fille d'alors 15 ans, que tu appréciais (dois-je écrire "semblais" ?), à qui tu écrivais parfois, à qui tu offrais tes livres, qui soudain va gravement mal, et que tu effaces alors, sans plus te soucier de son sort ? Toi dont les jeunes de cet âge et qui aiment lire constituent le gagne-pain ?
En refusant d'expliquer tu m'as frappée d'incohérence. Pour moi désormais plus rien n'a de sens, rien n'est stable. Il n'y a plus non plus de fiabilité.
De ton absence, je pourrais j'espère un jour m'accommoder. Mais cette perte de sens m'a terrassée. Et ton refus persistant de me traiter comme un être humain que tu as aimé (même si c'est terminé).
Cette impression la dernière fois que ton refus ne venait pas de toi mais que tu obéissais (ce qui ne te ressemble pas).
Et si une clef du mystère traînait là, chez Chloé Delaume ?
"Parce que je me suis heurtée à un problème écriture / vie. Normalement je lie les deux. Je voulais assister à une thanatopraxie, pour un chapitre précis, mais ma psychiatre m'a dit : j'en fais une contre-indication. J'ai longuement hésité et puis j'ai obéi. Elle me promettait la venue d'un nouvel épisode psychotique si je passais outre. J'ai déserté la littérature par crainte que ma vie se barre en couille, je ne sais toujours pas si ce n'est pas de la lâcheté. Ce qui est certain, c'est que, quelque part, j'ai brisé mon pacte de lecture."
Elle indique renoncer à quelque chose d'important (vital ?) pour elle ("son pacte de lecture", je pense d'écriture aussi) pour suivre l'injonction de sa psychiatre. Et si c'était quelque chose comme ça qui a été à l'oeuvre pour toi ? Une ordonnance et la peur de ce qu'il adviendrait si tu ne t'y conformais pas ?
Les effets secondaires sont bien pire que le mal et le seront pour toi aussi, même si en survivant physiquement, j'ai limité la casse.
(tristesse complémentaire : Ainsi tu ferais donc partie comme tant d'autres de ceux qui tuent si on leur dit de tuer ? Toi aussi, quelqu'un de téléguidé ?)
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