Les amis solides en ont marre de moi, mon mari aussi (1). En substance tous me disent : oublie ; et ceux qui m'ont sauvée ou ont devinée qui tu étais que tu ne vaux pas les sentiments que j'éprouve pour toi, cet attachement si fort, cette solidarité. Un film qui te concerne a comme délié les langues et me voilà à mon coeur défendant preuve supplémentaire de tes dangereux manquements.
Je préférais encore passer pour la pauvre fille qui avait sans doute dit ou fait quelque chose d'assez nul pour mériter un bannissement. Les témoignages de sympathie, du moins ceux qui te déprécient, me font plus mal encore que le léger mépris compassionnel que généralement on m'accordait et auquel j'avais fini par m'accommoder.
Tu viens de refuser une proposition récente pour qu'on se parle enfin. Ma tentative pourtant était douce et tranquille en un jour heureux.
J'aurais peut-être dû ajouter que cet effort de ma part était également motivé par la recherche d'argument, au moins un, face à ceux qui désormais te considèrent comme "sans doute un peu dingue" et qui connaissant notre lien préalable ont compris soudain d'où venait ma peine. Ils me savaient profondément entamée par une succession de malheurs et difficultés, et que j'y avais perdu mes amies les plus intimes comme en dégâts collatéraux, que de l'une des disparitions je ne parvenais pas à faire mon deuil. A présent ils ont compris ce que par discrétion, respect et espoir j'avais jusqu'alors tu.
Et je n'ai plus rien à leur dire sinon "Je ne sais pas", "Je ne comprends pas" ou un maladroit mais sincère "Il a dû se passer quelque chose que j'ignore".
Le résultat concret de tout ce bruit de fond en plus de m'avoir transformée malgré moi en témoin à charge (2), fait qu'on me somme de t'oublier.
Je tente.
Cette semaine s'y prête assez : départ pour 10 jours de vacances vendredi, l'infinitaire de choses à préparer, trois jours d'usine, des achats à ne plus différer, des impôts qui restent à déclarer.
"Life keeps you busy" avait dit Robert de son bel accent Irlandais. Je ne l'ai pas revu depuis, mais je constate souvent le poids de son affirmation. Me voilà donc déjeunant sur le pouce et filant en courant acheter pour mon fils un téléfonino. Là où nous allons nous en aurons besoin.
Tout se passe pour le mieux, malgré un vendeur au départ un peu las ou narquois, je ne saurais dire. Mon choix est rapide car dicté par celui d'un opérateur précis et le manque de moyens financiers.
A un moment donné de la transaction je me retrouve chargée de passer en caisse puis revenir vers lui, le paiement effectué et qu'il me donnera l'objet dûment initialisé.
C'est assez simple, en fait.
A la caisse, du monde. Piégée comme tous par la disposition des lieux, je me laisse attirer par les objets placés à ma portée.
Un catalogue de romans jeunesse. J'aime en lire, même si mes enfants ont grandi. Curieuse, je le saisis.
Ta photo (quoi qu'un peu datée), tes mots, deux pages en préface et qui évoquent une petite fille que tu serais, mais la tienne aussi en creux et d'ailleurs comme j'ai lu plus vite que l'ombre de mes yeux et ma volonté qui me disait Repose, je vois le bureau de ta fille, tel qu'il y a trois ans. Je retrouve tout du temps de notre proximité, tes mots pourtant récents sont toujours bien les mêmes. Et cette séparation qui dépasse l'entendement. Le mien et à présent celui de quelques autres, même si je m'étais tue.
Et me voilà foutue. Je dois pourtant remonter travailler, vais devoir encore lutter pour une concentration impossible, ravaler mes larmes, tout mettre sous le boisseau.
Aujourd'hui oubli = zéro.
Après être passée en caisse, je suis bien repassée prendre livraison du téléfonino, remplir les ultimes papiers, assister aux réglages, attendre un document concernant l'assurance, revenir là où je gagne ma vie. Depuis le temps qu'elle a déraillé, je sais faire semblant d'y être encore pourtant. Mais si j'ai sur faire le code de ma carte pour payer, j'ignore combien l'achat m'a finalement coûté. Tout s'est trouvé gommé par les "Pourquoi ?" déchaînés.
Comment y échapper ? Partir à l'étranger ? Fuir parce que tu me fuis ?
Cette situation n'a pas de sens.
(1) sauf qu'il n'est pas pour rien non plus dans mon état présent.
(2) depuis le moment, pour moi finalement flou puisque tu avais choisi le silence sans rien me signaler et que le très peu que tu as dit, quand nous nous étions croisées l'était peut-être fort à retardement, où j'ai su que ça n'allait plus selon toi entre nous, je n'aurais fait que cumuler les contre-emplois. Celui-là est de loin le plus cruel pour moi et qui m'échappe complètement puisque plus je tente de te défendre, plus en face on prend un air entendu sur le mode, t'inquiète, on a bien compris, va. En désespoir de cause je m'en tiens au silence ; lequel est pris aussitôt pour un assentiment.
ajout du soir : et par dessus le marché j'ai oublié ce qu'on m'a peut-être dit du code PIN à initialiser.
Peut-être que ça restera finalement un mystère et qu'il va falloir faire avec… Je ne sais pas.
Rédigé par : Satsuki | 24 juin 2008 à 09:43
Je tentais depuis l'automne dernier de me faire à cette idée, que je n'en saurais sans doute guère plus que les hypothèses par des amis avancées, et puis l'alerte de santé que j'ai eue début février et plus particulièrement le jour où je ne parvenais plus à respirer, m'ont fait prendre conscience avec une forme d'urgence contre laquelle toute résistance est impossible, que je ne voulais pas mourir sinon sans renouer du moins sans comprendre.
Quelque chose se joue là qui en bien moins dramatique j'en conviens puisque personne n'est mort même si ce n'est pas passé loin, qui est un peu du même ordre que le deuil impossible des proches d'un disparu. Tant qu'on n'a rien retrouvé, tourner la page, avancer, reste impossible. On donne le change mais on est minés. Effacer tout espoir demande un effort surhumain.
Rédigé par : gilda | 24 juin 2008 à 13:19