à l'orée du mercredi, Paris XVIIème
(à relire à tête reposée).
Ils se sont pointés à minuit plus que passé. En disant comme si ça allait de soi pour qui arrive après la bataille "On venait pour une dédicace".
Alors elle a dit non. Elle était épuisée, son éditeur attendait pour la raccompagner (ou vice versa car la voiture était sienne), nous étions un peu gênés aussi pour ceux qui pendant deux ou trois heures avaient patienté. Arrivés à 18 heures pour repartir à 21, ou à 20 heures pour 23.
Elle a dit non avec notre assentiment, et quand "nous" n'étions plus beaucoup, un vieux fidèle, l'éditeur, les libraires amis, un blondinet présomptueux qui finit par comprendre qu'il était de trop, et moi venue la remercier (si c'était possible et par chance ce le fut) et donner le coup de main, tout simplement parce que je les aime beaucoup et que me rendre utile aux marges de l'intendance c'est ce que je sais faire.
Quelques tempêtes de l'existence avaient fait de moi une âme perdue et ils m'ont accueillie en l'état ; si jamais un jour je retrouve mon éclat, ils seront parmi les premiers à pouvoir s'y réchauffer. En attendant je fais ce que je peux.
Nous étions donc si peu nombreux et d'avis que les nouveaux arrivants abusaient, qu'il lui aurait été facile de s'en tenir à son refus. Logique. Justifié. Près de 6 heures qu'elle dédicaçait sans s'arrêter et pas du tout à la chaîne. Un mot sympa pour chacun. Un dessin.
Les gens repartaient sans toucher le sol, heureux comme des gosses aux Noël d'antan. Je le sais qui avec les fidèles des lieux, ceux qui sont de toutes les rencontres, confidentielles ou fameuses, prenais le temps de leur parler alors qu'ils s'en retournaient, histoire qu'ils repartent un peu remis en pesanteur car le monde est sans pitié pour les piétons nocturnes perclus de bonheur.
Mais voilà, elle n'a pas eu le coeur.
Elle n'a pas eu le coeur de leur dire non pour de bon.
Elle les a rappelé et a signé pour eux. A minuit et demi (au moins), en bout d'un marathon qui n'était pas sa fin : il restait encore en dépôt une trentaine de volumes, qui auraient certes droit à un traitement plus rapide qu'en la présence de leurs humains, mais n'empêche.
Quelque chose en moi alors s'est déchiré au sein même de mon chagrin.
J'ai compris ce qui de ton absence, de ta disparition par le silence, de ta volatilisation me taraudait et me retenait bloquée d'incompréhension. C'est que tu es, je persiste à le croire, de la même eau.
Alors si vraiment je n'ai rien fait, ce que je crois car j'ai eu beau chercher sans fin je ne vois pas quoi, mais dont je doute encore et sans cesse, t'aurais-je heurtée, blessée, déçue à mon insu ?, et quand bien même je me suis rendue insupportable et oppressante par ma collection de malheurs d'il y aura bientôt trois ans, comment as-tu pu nous effacer ainsi les miens et moi d'un trait, sans être comme Anna G. saisie d'une intime impossibilité ?
Comment peux-tu vivre avec ça ? Quelle amnésie t'a donc saisie ?
J'ai compris plus fort que jamais que quelque chose coince et qui ne va pas, qui est totalement incohérent avec tout ce que je sais de toi, au fil des ans et des partages et de la tendresse réciproque.
Quelque chose que pour une raison que j'ignore (à la suite de, mais de quoi ?) tu as choisi d'enfouir, mais que pour survivre ou mourir en paix je dois à tout prix exhumer.
Et hélas le temps presse (j'en ai peur).
En attendant, grâce à Anna G. me voilà à nouveau reprise par ce naïf espoir que sur certains humains, on peut quand même compter. N'est-ce pas ça qu'on appelle la confiance ? Vais-je pouvoir revivre avant de faire face aux épreuves ultérieures ?
Respect pour elle et grande reconnaissance, qui mérite son titre comme personne.
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