Je venais d'ouvrir les yeux, vaseuse d'avoir dormi longtemps. Il était la demie de huit heures passée, ça m'arrivait rarement de traîner aussi tard. Il faut dire que j'étais seule, pour une fois vraiment seule, pas un chat dans l'appartement (1).
- Descends chercher le courrier me dit la voix prémonitoire impérieuse qui me fait parfois office de dialogue intérieur quand j'en suis hélas étrangement dépourvue.
Je ne sais en effet pratiquement pas me parler à moi-même, je m'adresse toujours intérieurement aux autres, selon leurs centres d'intérêts, l'affection que je leur porte et ce que je vois. C'est pourquoi n'être plus amoureuse de mon mari, par suite de son désamour à lui, et avoir également perdu ma meilleure amie, qui m'a bannie de sa vie sans que je comprenne vraiment pourquoi, me laissent si désemparée. A part mon fils, pour certaines choses un peu jeune et puis j'ai vis-à-vis de lui encore pour quelques temps une responsabilité de maman, et quelques très bon(ne)s ami(e)s, mais qui n'ont pas le même degré d'intimité, je n'ai plus personne avec qui "me" parler.
- Descends vite chercher le courrier, insista la voix.
J'obéis non sans une probable mimique de type Don Camillo quand son Doux Jésus l'interpelle en lui réclamant de faire une chose qu'il réprouve ou pour laquelle il ne se sent pas prêt (aller faire la bise à Peppone par exemple), enfilai quelques vêtements un peu au hasard, un tee-shirt, un pull, un jean, me brossai les dents (quand même), passai ou non aux toilettes, pris la clef puis descendis.
- Le facteur ne passe d'habitude pas si tôt, objectais-je à la prémonition tout en m'y conformant.
- Va, descends me sussura-t-elle sur un timbre doux comme celui d'Arnaud Desplechin quand au Méliès de Montreuil il répond aux questions éclairantes de Stéphane Goudet.
- Non ?!?
- Si, si, va.
Entre temps, j'étais en bas. Et effectivement, le courrier était là. Pas tout à fait celui que j'avais cru un instant (enfin) arrivé, je ne sais jamais bien interpréter mes intuitions, visions et coïncidences, mais une belle écriture qu'à présent je sais reconnaître et par ailleurs une carte postale de Guadeloupe, qui me fit fort plaisir.
Etrangement pas la moindre facture, ni publicité. Comme si le facteur délibérément avait mis de côté ce qui pouvait chagriner et décidé de m'accorder une trève au profit du vrai et depuis longtemps si rare courrier.
Avant même de lire le mot que l'enveloppe contenait, je me suis sentie pour la journée (et quelques autres ?) sauvée. Je crois que quelqu'un quelque part, à qui j'ai pourtant peu confié a compris (2) ce qui m'était arrivé, avec quelle violence, et combien j'avais besoin d'aide même si je ne veux pas encombrer, et surtout pas ceux que j'aime et qui me sont restés. Si jamais elle passe ici, qu'elle sache quoi qu'il arrive ensuite car ce n'est pas gagné, j'ai morflé trop profond, les fondations sont touchées, que je la remercie infiniment pour son soutien discret.
(Et aussi que j'essaierai de ne pas la décevoir.)
La carte de Guadeloupe, c'était les voisins, pour remercier des soins au chat et à quelques plantes.
(1) mais dans celui des voisins, si.
(2) ou appris par ailleurs (le monde est si petit, sait-on jamais)