Ces temps-ci, globalement
J'ai un sérieux problème avec les gens qui sonnent chez moi.
Pas les amis (les rares survivants d'une période noir foncé il y a trois ans), pas les cousins, pas Wytejczk si passant voir Porte de Clichy quelque parentèle, le saisissait soudain l'impulsion miraculeuse de faire un heureux détour pour reprendre contact. Bref, pas quelques-uns.
Mais pour les autres, j'ai un souci. Ou plutôt deux.
Selon qu'il sont de ceux qu'on n'attend ou qu'on n'attend pas.
Des premiers j'ai tendance à ne pas entendre le coup de sonnette, y compris s'il est accompagné par un frappement de porte.
Il faut dire qu'ils ne viennent généralement pas pour rien et se permettent donc logiquement d'insister. Seulement voilà, si je suis partie à travailler au fin fond de ma cuisine (ou plutôt : dans la cuisine qui est au fin fond de l'appartement), la musique au casque ou même simplement la concentration plus forte que mon être (les mots ont cette force que moi-même je n'ai pas), la sonnerie, les coups sourds, je n'entends pas. Le téléphone non plus (1).
Je me suis ainsi la semaine passée stupidement consignée un matin à la maison dans l'attente d'un relevé des compteurs d'électricité ... que je n'ai pas entendu passer. J'étais peut-être sous la douche s'il est venu tôt. Ou bien trop concentrée pour me rappeler que ce jour-là il convenait de veiller.
Ceux qu'on n'attend pas, en revanche, semblent posséder un don pour qu'on les capte quand même. Un talent particulier pour sonner dans un instant de flou, paragraphe achevé, croisée des chemins vers l'entame du suivant.
Et maintenant si ...
Ting Dong.
Et maintenant si ...
Il fut un temps où je pouvais choisir délibérément d'ignorer l'importun, généralement un malheureux porte-à-porteur, de toutes façons par principe je n'achète rien dés lors qu'on me sollicite sans que j'aie demandé. Si tout le monde ferait comme ça, on cesserait probablement assez vite d'être importunés.
A présent que ma fille occupe sa propre chambre, un coup de sonnette peut signifier qu'elle s'est retrouvée enfermée dehors en filant aux toilettes ou qu'elle a oublié ses clefs et passe en prendre le double. De plus dans l'immeuble l'ambiance est plutôt bonne, nous connaissons quelques-uns de nos voisins et il n'est pas exclu que pour une raison ou une autre ils souhaitent nous voir, parfois pour partager du bon, fort sympathiquement (2) ou parce qu'un chat s'est délicatement égaré via les balcons communiquants.
Donc si j'entends sonner, par acquis de conscience je vais vérifier. J'évite d'ouvrir aux démarcheurs que ni le code d'accès, ni les interphones, ni les douves, ni le pont-levis n'auraient arrêtés, mais la période des voeux rend délicate la distinction.
Il m'est ainsi arrivé une fois ou deux d'être au bord de l'assassinat, ayant ouvert à un pompier (quêteur) potentiel ou à un individu qui ressemblait à l'un de mes voisins pour m'entendre proposer un tuyau de gaz (3) ou une assurance. Parce que je ne supporte pas d'être interrompue en pleine relance d'un "Et maintenant si ...", juste au moment où l'élan pris, ça repartait.
Que si je n'écrivais pas, il est probable que je dormais. Et que le vendeur m'aura fait choir d'un coup d'un rêve.
Et que j'ai des atterrissages de songes ou de monde des mots particulièrement violents, brutaux et douloureux (4). A tout prendre je préférerais être interrompue en plein acte d'amour (5).
Je me sentais jusqu'à présent vaguement coupable de ces pulsions meurtrières. Mais voilà que ce soir, grâce à un libraire qui se cache pour mourir et l'un de ses commentateurs avisés, je découvre que d'aucuns et des plus illustres avec moi la partagent (7).
Ainsi que la saturation absolue face à la devenue trop envahissante publicité (8). Je ne suis donc pas certaine que mon vernis craquelé de civilisation résiste à une prochaine intrusion.
Démarcheurs, démarcheuses, je sais que vous n'effectuez pas par passion ce métier. Seulement quelques péripéties de ma vie m'ont amputée d'indulgence et pitié. Et je dois travailler beaucoup plus pour gagner très rien. Alors de grâce, si vous reconnaissez cette sonnette, passez votre chemin. Il pourrait vous en cuire et on le regretterait.
[photo : l'objet du délit]
PS : Facteurs, livreurs de livres et de tout autre objet ici bas bienvenu, ce qui précède ne vous concerne pas. Mais je vous connais, vous êtes bien élevés et sonnez d'abord en bas.
(1) Exception faite du téléfonino que je m'efforce de garder assez près de moi.
(2) Souvenir ému de confitures à la noix de coco
(3) C'est arrivé, et le type avait visiblement la consigne de se faire passer pour un qui faisait des travaux au titre de la copropriété. A failli repartir étranglé par ses flexibles. Non mais.
(4) Ce ne sont hélas pas des mots. Quelque chose en moi doit être mal branché ou trop bien et qui transforme en sensations physiques concrètes et immédiates ce qui se tricote d'involontaire au cerveau. C'est pourquoi aussi il y a deux ans quelques mots m'ont mise en danger aussi sûrement qu'un coup armé (au moins celui-là j'aurais pu tenter d'esquiver).
(5) Ça serait bon signe pour ma santé. Et puis ça voudrait dire qu'on serait<del> au moins</del> (6) deux pour casser la gueule au dérangeur.
(6) discrète tentative pour entretenir la légende qui me prétendrait ex-nègre de Catherine Millet
(7) Boulet
(8) qui fera peut-être l'objet d'un prochain billet dont j'ai déjà le titre alléchant "A la poste"
spéciale dédicace à Samantdi avec laquelle j'aurais peut-être pu si ce soir elle avait enbilleté ses touites établir ici un lien, même si la source de son ire n'est point tout à fait la même que la mienne.