(sans savoir qui il était)
C'est cette petite VDM qui m'y a fait repenser :
En 1982 et 1983, alors assez passionnée par le tennis (1), je passais tous les jours ou presque à Roland Garros. C'était avant que la télévision ne fasse du tournois un grand cirque, un temps où venaient surtout des passionnés, un temps ou un billet pour les jeunes à moins de 20 FRF permettait de voir tous les matchs sur les cours annexes et des gradins ceux du central. Un temps aussi où il était admis que ceux qui quittaient le stade pour retrouver leur vie puisse donner leur billet à ceux (souvent comme moi des gosses, des jeunes, des étudiants fauchés ou parfois des habitants du quartier - tiens, je me regarderais bien un petit match avant de préparer le dîner -) qui patientaient devant les portes. Ainsi l'on pouvait rentrer à notre tour et parfois à des places de rêves.
Le fait de n'être pas très séduisante, mais d'avoir l'air paisible et souriant, me rendait service : les couples me cédaient volontiers leur place - souvent la femme qui faisait signe à son compagnon, parfois ils revenaient sur leurs pas pour me le proposer -. Ma façon aussi était de ne rien demander. J'étais là, et j'attendais que les choses se fassent. J'avais sans doute l'allure de ce que j'étais une gamine sportive mais fauchée.
Je vivais au foyer des Lycéennes centre d'hébergement pour les jeunes filles en classes prépa (les internats n'étaient pas mixtes). Il était situé rue du Docteur Blanche dans le XVIème arrondissement et donc tout près du stade. Chaque soir après les cours, j'y passais et chaque soir je parvenais à rentrer. Y compris un jour de pluie torrentielle ou j'ai pu longuement jouer au Pacman dans un stand où les jeux étaient à disposition du public. J'ai même fait une partie avec un jeune ramasseur de balles dont le père s'impatientait.
En revanche il n'y avait au foyer qu'une télé, je crois, vaguement allumée sur les infos aux heures du JT. Je ne suivais donc presque pas de matchs sauf sur place et le week-end quand je retournais en grande banlieue chez mes parents.
Ce qui fait que ce beau grand et fin jeune homme qui irradiait de bonheur ce soir-là et contre lequel j'avais failli buter près du central en me précipitant après avoir obtenu un sésame pour ce court m'était totalement inconnu. Mais un type lui parlait doctement, qui pouvait bien être un journaliste et derrière moi un gamin donnait un coup de coude à un pote qui l'accompagnait, mimique significative, Oh t'as vu c'est Machin et ils sortaient stylos et carnets pour s'approcher et visiblement demander au beau garçon de signer. Il était vêtu en jean et on avait les cheveux un peu pareils lui et moi. Comme il ne portait aucun sac de sport, je me suis demandée s'il ne s'agissait pas d'un acteur tout jeune dont un film sortait ces jours-ci ou d'un gars d'un groupe rock un peu sage. C'était les premières années où se faire voir à Roland Garros lorsqu'on avait "une actualité" faisait partie des étapes d'une promotion bien pensée. J'ai vu qu'il avait vu les gamins, qu'il en était surpris et heureux - Oh, on me reconnaît -. Alors j'ai sorti ce que j'avais sur moi comme support, c'est le cahier de brouillon de maths qui est venu en premier, un bic et hop j'ai souri, émue, et lui ai tendu le tout. Il a signé, tout timide, fier.
Je me disais, je saurais bien un jour qui il est, et je lui fais plaisir. Et puis il n'y avait pas besoin de parler j'ai remercié, on a échangé un dernier sourire et il s'est occupé des garçons qui piaffaient d'impatience, content aussi, semblait-il d'échapper aux propos doctes et transmis sur un ton de confidentialité par le monsieur sérieux (2).
J'ai filé voir les matchs qui s'annonçaient. Ma préférence allait aux matchs de fin de journée en cinq sets sur courts annexes avec des gars qui semblaient jouer leur vie, un suspens insoutenable. J'y ai vu des Wilander et Lendl débutants, à un moment où ils débutent dans leur art mais on se dit en les voyant qu'il en a sous la semelle celui-là et que sans doute il ira loin.
Ce qui est bien avec l'internet c'est qu'on retrouve ce dont la mémoire n'a gardé un souvenir qu'imprécis.
En fait le grand beau jeune homme chevelu s'appelait Guy Forget et il venait d'être battu par Connors mais cependant radieux d'être parvenu au troisième tour du tournois et d'avoir joué contre l'un des joueurs qui le faisait rêver.
(1) Moins que je ne le fus par le foot, qui était en moi, alors que le tennis m'avait été en quelque sorte importé par ma mère (qui y jouait et tenait à ce qu'on suive son exemple, ne serait-ce que pour mettre mon père en minorité) et imposé par les circonstances puisque le club de foot féminin avait fermé.
(2) Amusant d'écrire l'instant 31 ans après : le monsieur en question si je le croisais maintenant à l'âge qu'il avait alors, je me dirais Pfff un jeûnot qui se prend au sérieux, alors qu'à l'époque il me semblait "vieux" (comprendre : adulte installé dans la vie, peut-être déjà parent)