Jean-Marc Roberts - "Deux vies valent mieux qu'une" (Flammarion)
Récemment j'ai dû interrompre deux lectures car l'auteur m'en était trop familier et que le décalage entre ses mots, ceux qu'il laisse dire à ses personnages, et l'homme qu'il est vis-à-vis des femmes dans la vie m'étaient par trop insupportable (1).
Pour le livre de Jean-Marc Roberts j'ai pu à l'opposé bénéficier en tant que lectrice d'une jolie impunité : je ne le connais pas personnellement, nous n'avons fait que nous croiser en quelques occasions professionnelles. J'ai pu lire son livre, qui ressemble fort à un au-revoir, sans charge affective ni a-priori . Je me doute simplement que pour être patron d'une maison d'édition de belle dimension, il ne faut pas être un ange, sinon on reste un doux poéte désargenté à vie. Je sais aussi qu'un homme hétéroseuxel séduisant a forcément rendu bien des femmes malheureuses, c'est organique aucun ne sait faire autrement (2). Et si je suis reconnaissante pour "La Cosmopolite" et "La Forêt", certains choix de "La Bleue" me restent incompréhensibles, à côté d'autres qui sont formidables.
J'ai aussi en l'occurrence le privilège d'être à l'abri du chagrin qu'on éprouve lorsqu'on sait quelqu'un qu'on aime en danger.
Alors j'ai pu savourer ce livre élégant, qui dit sans dire, à la Échenoz (3), semble effleurer mais écrit des choses qui je le sais vont rester. Remercie au passage ceux qui ont compté, demande à mots couverts pardon à deux personnes (au moins, pour le reste j'ai perçu certains passages à double niveaux mais n'ayant pas le décodeur, j'ai pu lire tranquillement au premier degré), témoigne sans lourdeur de son amour pour ses enfants, et se souvient de délicats moments d'enfance et de jeunesse, sans les plomber du sceau d'une pesante précision.
Je sais que c'est un livre qui demande à y revenir. Tout ne se révèle pas d'un seul coup. Les brêves considérations sur le métier d'éditeur m'ont paru d'une justesse et d'une lucidité impressionnante. L'évocation des jeunes plongeant du haut des falaisses m'a plu infiniment. Peu de mots offraient à la fois l'image, l'appréhension et les motivations.
La classe.
Une façon aussi de ne pas céder face à la maladie, rester capable d'écrire ainsi.
Et un cadeau pour la lectrice que je suis : après avoir refermé le livre l'homme qui l'a écrit me reste inconnu, complexe et mystérieux. Mais sur ma propre condition, sur le travail d'écrire, j'ai appris quelques choses qui lors des prochains tourments que m'infligera la vie (c'est inévitable, les trèves sont brêves) pourront me secourir.
En le refermant, j'avais envie de dire (ainsi qu'à l'éditrice), merci.
(1) Rien à voir avec une question d'orientation sexuelle
(2) Mais je ne demande pas mieux que l'un d'entre eux me prouve enfin le contraire.
(3) En particulier celui de "14", la guerre ici serait celle, individuelle, contre la maladie
provenance : livre arrivé à la librairie (office probablement)
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