traduit du chinois par Pascale Guinot et Sylvie Gentil (avec l'aide de Wei Xiaoping)
livre lu dans le cadre des lectures mensuelles de l'Attrape-Cœurs
Je n'avais pas choisi moi-même ce livre, me serai doutée qu'il ne me convenait pas : les récits de guerre me laissent généralement déprimée et froide, ces moments de crimes légalisés et glorifiés me semblent surtout désespérants. Ou alors il faut le talent d'un Échenoz, ou de Lyliane Beaucquel, pour parvenir à m'y intéresser malgré tout.
Et je ne suis pas non plus sensible au bucolisme, j'ai eu ma période enfant, j'adorais courir dans les terrains vagues (à défaut de champs) et rêver de garigue auprès de Lili et Marcel - totalement inconsciente du fait que parce que j'étais une fille ils n'auraient sans doute pas voulu de moi -, mais j'ai assez peu de rêves champêtres dans l'ensemble, ni même forestiers.
Alors un roman qui raconte des faits de guerre au milieu des champs sur le mode très jolie description des canards sauvages et vlan soudain description minutieuse des tortures infligées (1) à un malheureux prisonnier - mais attendez, je regardais encore les canards près du vieux pont ! -, ce n'était pas exactement pour moi.
Le style est un peu tarabiscoté, je suppose que c'est pour tenter de respecter certaines tournures de la langue originale. Ce n'est pas gênant, mais empêche qu'on puisse se consoler du sujet par un plaisir des mots (2).
Malgré toutes ses réserves, je pense que cette lecture vaut la peine, il y a une scène de bataille près d'un pont qui est relatée d'une façon sensible et magistrale, une agonie émouvante avec allers-et-retours passé-présent forts et troublants.
Et puis on apprend ou réapprend à quel point là comme ailleurs les femmes étaient traitées comme des êtres de seconde zone, destinées au plaisir des hommes et à les servir. Peut-être rien que pour l'histoire de la jeune fille "vendue" par ses parents à un riche distillateur atteint par la lèpre, ce livre vaut d'être lu.
Pas exactement par plaisir.
Les choix des prix Nobel de littérature me semblent généralement assez mystérieux, même si j'étais ravie dans les cas d'Herta Müller et de Tomas Tranströmer ; on se demande un peu ce que ça couronne, au fond.
question : il est fait mention dans les dernières pages, brièvement, du retour du grand-père du narrateur, en 1958 "des montagnes désertiques de Sapporo" et qu'il avait alors perdu la parole. Je ne suis pas certaine d'avoir compris de quoi il s'agissait ? (prisonnier de guerre tardivement relaché ?)
extrait :
"Ces trente années d'histoire de sa vie, tout son passé à l'heure où elle est en train d'y ajouter une dernière ligne, ne sont plus que fruits parfumés qui s'écrasent et tombent au sol. L'avenir ? À peine si elle devine quelques halos de lumière éphémère. Il n'y a plus que le présent, ce présent poisseux, fuyant et trop bref auquel désespérément elle s'accroche. [...] Timidement il [le fils encore adolescent de la femme dont il est question] l'appelle pour tenter de faire renaître dans sa conscience, où déjà les passions humaines se sont éteintes, quelques étincelles d'amour de l'existence. De toute la force qui lui reste elle essaie de lever la main pour lui caresser le visage. Mais rien à faire, son bras refuse de bouger. [...]
Elle n'en peut plus de fatigue, la poignée glissante du présent, cette poignée du monde humain, lui échappe des mains. C'est ça, la mort ?"
(p 134 - 135)
(1) Il s'agit d'une (de la ?) guerre sino-japonaise, tout ce que j'ai pu lire ou voir au cinéma sur le sujet donne l'impression d'un raffinement particulier dans la barbarie, visiblement se contenter de tuer l'adversaire n'était pas suffisant.
(2) Comme c'est le cas dans le "14" d'Échenoz
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