Parce qu'il me faut, c'est plus fort que moi, un coin dédié aux livres.
Parce que (honte à moi) je n'ai pas eu le temps de l'installer sous dotclear comme j'en avais la ferme intention.
nb : il s'agit de chroniques et notes de lectures, pas de critiques littéraires
extraits d'une ITW de Thomas Sankara par Elisabeth Nicolini pour le numéro de Jeune Afrique du 12 mars 1986 (reprise dans Thomas Sankara "Oser inventer l'avenir", la parole de Sankara présenté par David Gakunzi (Pathfinder et l'Harmattant)
Nicolini : Vous avez une bibliothèque je suppose ? Sankara : Non, absolument pas. Mes livres sont dans des cantines. Une bibliothèque c'est dangereux, ça trahit. D'ailleurs je n'aime pas dire ce que je lis non plus. Jamais je n'annote un livre ou je ne souligne des passages. Car c'est là que l'on se révèle le plus. Cela peut être un vrai carnet intime.
Nicolini : En dehors des discours officiels, est-ce que vous écrivez vous-même ? Sankara : Oui, depuis longtemps. Depuis 1966, j'étais encore au lycée. Chaque soir. J'ai eu une petite interruption à partir de 1982. Mais j'ai repris depuis. J'écris des réflexions.
Nicolini : Envisagez-vous de les publier ? Sankara : Non, je ne crois pas.
Nicolini : Quel est le livre que vous aimeriez avoir écrit ? Sankara : Un ouvrage sur l'organisation et la construction du bonheur des peuples.
Mes premières lectures "de rentrée" entamées, je suis frappée de constater à quel point les romans "Faux nègres" de Thierry Beinstingel et "Peine perdue" d'Olivier Adam sont cousins. Ils diffèrent dans la forme - quoique tous deux de l'ordre du roman choral -, et puis l'un prend prétexte d'une enquête journalistique et met en scène à titre principal quelqu'un qui habite le monde, hésite entre Orient proche et Occident, l'autre frôle parfois l'enquête policière et offre la parole à des personnes tout au contraire engluées dans une région que leur manque de moyens (1) rend impossible à quitter.
Seulement l'un comme l'autre sont en branchement immédiat avec l'air du temps, écrits avant les élections du printemps ils annonçaient ses inquiétants résultats, combien la déglingue d'une perpétuelle précarité favorise le replis identitaire. Combien du désarrois à la haine de l'autre il y a peu de pas, dès lors que des malins montrent l'autre du doigt.
Si j'organisais des débats, je les inviterais ensemble en septembre ces deux-là (2), ils pourraient avoir à nous dire.
(1) Ou pour l'un des ambitions déjà pour parties satisfaites ; partir serait renoncer à une part de succès.
(2) Après ils risquent d'être pris par "Les Prix".
C'est le patron qui me l'avait dit : le sympathique Alain Cohen qui était venu à Livre Sterling présenter "J'ai croqué un chef" a été acteur enfant et pas n'importe où ("Le vieil homme et l'enfant"), ni avec n'importe qui. C'était émouvant d'en trouver la trace dans un livre arrivé à la librairie.
Curieux, j'ignore comment ce livre s'est imposé à moi, il me semble que c'est à la suite de cet article, du fait aussi que j'éprouve le besoin face aux lectures professionnelles ou imposées par les circonstances, de m'accorder un brin de vadrouille.
C'est aussi que l'annonce du décès d'une bonne camarade de l'internet, dont j'aimais à suivre le blog lorsque j'en avais le temps, mais que je n'ai pas eu l'honneur de connaître suffisamment à temps, me peine comme un important rendez-vous manqué.
Alors j'éprouve le besoin de ce voyage en d'autres vies que les livres ou les films nous accordent. Mais pour cet usage, quelle que soit leur qualité, il faut qu'ils soient choisis et non imposés.
Enfin, il y avait ce DVD emporté en week-end pour être vu, mais pour lequel, l'esprit préoccupé ou présomptueux (peut-être que j'estimais être capable de le visionner par capillarité, via une simple imposition de ma main gauche sur le boîtier ?), j'avais omis de prendre l'équipement idoine au visionnage. Ce qui dès lors me libérait une grande soirée.
J'ai donc attaqué sous ces auspices l'autobiographie de Corine Marienneau, "Le fil du temps", un tome 1 dépourvu de tome 2 pour l'instant.
Le style dépourvu de tout fioriture m'a plu, les choses sont dites sans chercher à charmer, mais de façon claire et nette. Les chapitres vont à l'essentiel. Ce qui est confié de l'enfance est ce qui permet(tra) de comprendre des éléments de la suite. Les flous sont laissés en l'état - par exemple lors des périodes de tournées, la superposition dans la mémoire de dates, de rencontres, aisée à résoudre par des recherches documentaires est laissée telle qu'elle : il ne s'agit pas d'être exaustive mais de restituer un ressenti ). Les partis pris sont assumés : les hommes l'ont déçue, elle le dit, elle passe pour l'empêcheuse de tourner en rond, elle en était consciente à l'époque et le dit, a fait défaut à quelques-uns qui l'aimaient eux de trop près, l'avoue.
Se sait d'un moins grand niveau musical que ceux qui furent ses trois compères, ne prétend pas à davantage, mais sait aussi que l'alchimie d'un groupe n'est pas dans un "chacun meilleur dans son domaine", qu'il s'agit au contraire de stimulante complémentarité.
Mon rôle auprès des hommes étant assez similaire me voilà chaleureusement mise en garde contre l'amertume qui pourrait me gagner et à laquelle j'espère encore échapper. Probablement car je n'ai pas le genre de rêve qu'elle avait, que j'ai toujours su les hommes polygames à moins d'être fous amoureux fous, mais pour quelqu'un comme nous alors assez insupportables car étouffants. Éternel problème de la bonne distance d'autant plus introuvable qu'en occident nous avons eu cette si belle (mais utopique ?) prétention d'allier l'amour à la vie quotidienne partagée.
S'il est trop lourd d'inconsolables chagrins ce témoignage ne manque pas d'humour - la page consacrée aux différents types de groupies m'a fait rire, je la crois si vraie -, de lucidité, de retenue (1).
Paradoxalement et alors que j'éprouve de la sympathie pour le groupe dont les morceaux principaux ont bercé (2) mes moments dansants , et à un passage près (3), le fait que ce soit à leur sujet que j'apprenais des éléments de l'envers du décor m'a laissée indifférente. Il pourrait s'agir de tout groupe au succès comparable (s'il en existait), avec une femme et une seule qui n'en est pas la chanteuse.
Sinon, moi qui pratique le genre à l'excès, je n'ai pas su comprendre si les notes de bas de page étaient ou non un second degré. Tout y est détaillé à l'excès, tout juste si on ne nous indique pas "... Mick Jagger (4) ". Mais peut-être s'agit-il de plaisanteries privées, ou d'un comique de répétition, et non de supposer que les lecteurs sont des teen-agers aculturés ou des peuples du futurs.
À sa manière un peu malheureuse, ou maladroite, mais semble-t-il sincère et en tout cas touchante, ce livre sensible m'aura fait du bien. Et en tant que libraire, je proposerai volontiers le tome 2 s'il paraît. De même que je rencontrerai volontiers la femme que cette vie-là a traversé.
(1) Je suis persuadée qu'alors que certains lui auront reproché d'avoir "balancé" elle en avait infiniment plus à raconter si elle l'avait souhaité. Or elle s'en tient à ce qu'elle ne peut contourner. Ou, concernant certains personnages publics (au sujet desquels tout a déjà été dévoilé même au delà de la vérité), à ce qui peut amuser. Et puis il y a toujours de la tendresse, y compris pour ceux qui se sont révélés mufles par la suite, ou tellement oublieux.
(2) bercent encore mais allez savoir pourquoi, ils se font plus rares.
(3) Celui où est relaté le concert du 14 juin 1982 à l'hippodrome d'Auteuil en première partie des Stones. N'ayant pas les moyens de m'offrir une entrée, mais logeant alors au foyer des lycéennes tout proche, je m'étais glissée dans une avenue voisine - charme des concerts en plein air, pas besoin d'être dans l'enceinte officielle pour entendre - et m'étais régalée. C'était donc Téléphone cette première partie si enlevée. L'apprendre ainsi 30 ans après. Et je me souviens des Stones tardant puis sans doute pour leurs fans en fin de concert décevants : les limousines noires que j'avais vu passer alors que le public euphorique réclamait un bis (ou un ter), sans savoir que ses idoles étaient déjà hors zone.
"Les cheveux défaits qu'elle avait coupés comme pour se punir, la mâchoire serrée, les yeux absents, elle conduisait une R5 nouvellement acquise tel l'automate de La Dame de Pique qu'elle m'avait emmenée voir à l'Opéra Garnier. L'intellectuelle lumineuse, sensuelle et affranchie de toutes conventions, élève et compagne passgère de Merleau-Ponty et de Lacan, n'était plus qu'un astre éteint.
C'est mon père qui avait interrompu son élan vital et altéré son rapport au monde. Flatté lors de leur rencontre par sa culture [...], il s'était senti au cours de leur mariage mortifié par son intelligence encombrante. [...]. Elle exerçait naturellement un magistère intellectuel et moral dont il n'avait que faire, incapable d'en devenir l'interlocuteur. En retour, il l'avait trompée et humiliée. Puis quittée. Sa confiance en elle-même s'était alors dissoute, presque organiquement, ne lui laissant plus que l'amertume."
"Une longue série de vestales courroucées, instrumentalisées par lui avec art, se consacraient à la perpétuation de sa légende en élaborant livres, interviews, traductions et improbables projets de scénarios. Il les recevait à la maison [ ... ] pour un thé ou un verre [...]. Mais pour un temps au moins, elles continuaient à monter la garde auprès de ce Moloch de l'Himalaya, se livrant à lui en pâture, lui ouvrant leur carnet d'adresses, réécrivant ses articles, corrigeant ses synopsis, menant ses campagnes électorales, l'assistant dans toutes ses transactions, négociant ses contrats et consacrant leur talent aux manifestations célébrant sa gloire, pour être, tôt ou tard, supplantées par une nouvelle adoratrice pleine d'énergie, touchée également par la grâce d'un homme si valeureux. Lorsqu'elles avaient perdu toutes leurs illusions et leur fierté, elles venaient me trouver afin de me raconter ses félonies, ses lâchetés dont j'écoutais la séquence prévisible avec résignation et ennui."
Félicité Herzog, "Un héros" (Grasset, p 12 )
Je connais un ou deux homme qui fonctionnent comme cela, dont l'un qui séduit mais n'honore pas. Les femmes alors restent dans son entourage, secourables, espérant un soudain mieux ou un miracle du viagra.
"Plusieurs années avant que je leur aie demandé de proscrire de leurs œuvres toute allusion à notre histoire, le mal était fait. Ma hantise d'être utilisée comme matière à littérature était donc bien fondée. La désinvolturedu romancier était totale. Notre rupture consommée, je détestais l'idée qu'après m'avoir délaissée ils pourraient encore presser le citron de notre aventure pour en extraire le jus romanesque."
Bianca Lamblin "Mémoires d'une jeune fille dérangée" (ed. Balland p 89)
Curieusement, dès les premiers amis écrivains ou journalistes que je me suis trouvée à fréquenter, et alors que je venais d'un milieu tellement éloigné, il me paraissait évident qu'il y avait là un contrat tacite qui était d'accepter dès lors qu'on se côtoyait à servir de chair à fictions. Je crois que ça ne m'aurait gênée que si je m'étais trouvée trop reconnaissable dans quelque chose qui aurait pu me mettre en porte-à-faux avec la grande entreprise qui au début m'employait. Depuis que j'ai conquis ma liberté, une réutilisation de ce qui me concerne ne peut me déranger.
Me croiser ici ou là m'amuse, même quand c'est peu flatteur ce qui a dû n'arriver qu'une fois. Parfois, il y a même un enseignement à en tirer (Tiens, c'est vrai, là, j'y étais peut-être allé trop franchement). Souvent c'est trop d'honneur.
Encore plus curieusement, je n'envisageais pas, une fois qu'on m'avait fait tomber dans l'écriture de recycler des personnes existantes encore vivantes de trop près - la peur principale étant d'avoir une incidence sur la suite, un peu comme un voyageur du temps -.
(Ces scrupules sont tombés à coup de coups affectifs encaissés, de confiance brisée, et quand ma survie fut en jeu car il n'y a plus qu'une chose qui compte : se relever, s'en tirer. Il ne s'agit pas de rendre les coups mais d'exprimer, mettre les mots, sur un déroulé d'actions, de mots dits ou écrits et de situations - inévitablement les protagonistes y sont -. En état d'urgence transposer n'est pas aisé).
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