Alexandre Seurat : "La maladroite" (La brune au Rouergue - août 2015)
Il était dans mes piles à lire depuis un trop long moment, il semblait faire l'unanimité et la maison d'édition (Rouergue, collection La brune) ne présentait que lui pour la rentrée : "la maladroite" d'Alexandre Seurat. J'attendais un moment calme afin de pouvoir le lire sans m'interrompre, sans distraction. Un moment où j'irais assez bien pour ne pas suffoquer par compassion. C'était maintenant.
L'auteur dit (1) avoir été saisi par l'histoire de la petite Marina enfant maltraitée morte en 2009 ; les enseignantes successives de l'enfant et directrices d'école avaient tenté d'alerter les services compétents, des gendarmes dans le cadre d'une procédure avaient même interrogé l'enfant, mais les parents présentaient une telle apparence d'unité et de courtoisie, les autres membres de la fratrie jouaient si bien le rôle d'enfants épanouis, et la petite justifiait si parfaitement ses blessures que tout s'était enlisé. Le coup d'accélérateur pour une prise en charge intervenant alors que l'enfant est déjà morte - ses parents après un ultimatum de la nouvelle école, feront croire à un enlèvement -.
Le roman intervient avec toute la force de la littérature. Les éléments sont resserrés, par exemple moins de déménagements et de frères et sœurs qu'il y en eu en vrai, ce qu'on entend n'est "que" la voix des acteurs successifs, parents exclus (2), avec parfois en direct les réponses de l'un ou l'autre enfant telles qu'elles pourraient figurer dans les procès verbaux ou compte-rendus successifs. C'est sans aucun effet de style : ils s'expriment tous en français standard, on croirait assister à des confessions filmées, le ton de certains documentaires de bonne tenue que l'ouvrage nous plonge au cœur du dysfonctionnement de société qui couplé à celui de ces terrifiants parents a conduit à la mort d'une petite fille. On voit les tentatives vaines de ceux et celles qui ont compris face à ceux qui se laissent prendre à l'habileté du père, à la personnalité insaisissable de la mère, à l'amour que la petite, qui a probablement intégré que c'était elle qui n'était pas une bonne personne, comme souvent c'est le cas chez des enfants qui ne savent pas comment ça pourrait être leur vie si elle était normale, alors ils se disent c'est ma faute. On sait exactement comment ça va finir. On assiste à la dilution des responsabilités et aux dessaisissements successifs de ceux qui étaient près à les prendre. Personne ne peut être directement incriminé, tous ont fait leur travail, ceux qui avaient un peu de pouvoir sont simplement restés dans leur zone de confort, ceux (dont la première institutrice, et on peut vraiment croire qu'elle a agi et pensé comme ça) qui se bougent sont renvoyés dans leurs buts ou mis hors de portée.
Manquent les camarades de classes mais la fratrie changeait probablement trop souvent d'école pour que les enfants puissent réellement se lier et la petite avait sans doute un comportement trop particulier, trop volubile ou trop en retrait, pour avoir quelques amies.
Après avoir lu, on se dit qu'on ne pourra pas laisser faire de nouveaux cas. Tout en sachant combien ce n'est pas simple.
On se dit aussi qu'Alexandre Seurat a trouvé moyen de faire quelque chose pour elle. Ou plutôt pour sa mémoire. Et pour tenter d'éviter qu'elle ait des successeurs.
(à la lecture un souvenir m'est revenu d'une camarade de classe de CP et CE1 non pas maltraitée physiquement mais triste, elle rentrait seule le soir dans une très grande maison et par ailleurs comme elle n'avait pas de frères et sœurs et peu d'amis des grandes l'embêtaient aux récréations, j'avais eu un peu d'effet sur ces dernières en me solidarisant, et très peu sur les adultes j'avais un peu obtenu que certains soirs d'hiver elle passe à la maison en attendant que sa mère rentre, ou qu'on l'accompagne quand il faisait nuit et je me souviens très bien de sa peur que "ça fasse des histoires" ; j'avais compris qu'on ne peut pas aider ceux qui ne veulent pas prendre le risque de s'en sortir, que c'est compliqué ; cela dit il n'y avait pas grave danger, juste une grande maison vide, la nuit qui tombe tôt, et une gamine de 7 ans qui avait sa clef (3))
(1) article du site de l'université d'Angers
(2) condamnés en 2012 à de très longues peines. Il semblerait que leurs motivations soient restées incompréhensibles, ils n'ont pas non plus été tenus pour fous et les autres enfants, au rôle épouvantable qu'on leur faisait jouer - apparemment l'enfant victime était tenue à part, ils savaient qu'ils avaient une sœur handicapée qui posait un problème -, étaient bien traités.
(3) À la décharge de ses parents c'était une époque où il allait de soi du moins en banlieue qu'à la grande école on aille seul-e-s ou en groupe du même quartier ou avec un aîné. Les parents qui accompagnaient c'était pour permettre de faire le trajet en voiture au lieu d'à pied (un bon quart d'heure) et certains parents dont ma mère fit partie quand elle "avait la voiture" co-voituraient.
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