Sophie Daull "Camille, mon envolée" (éd. Philippe Rey 20/08/15) - 16/05/15
Lorsqu'on travaille en librairie les mois de mai et juin sont garnis des présentations de rentrée littéraire auxquelles les différents éditeurs nous convient. Je m'efforce d'y aller : on a ainsi un panorama des ouvrages qui arriveront sur nos tables et qu'on ne peut tous obtenir ou lire, ce qui permet de renseigner nos clients même sur nos zones de moindre connaissance (1). Il y a aussi les retrouvailles avec ceux des auteurs que nous aimons - et qui ne peuvent pas nécessairement envoyer des SP à l'intégralité de leurs carnets d'adresses -. Et puis les découvertes, les curiosités et les pépites inattendues.
"Camille, mon envolée" fait partie de ces dernières. Le thème n'a été que trop souvent traité : parent en deuil d'un enfant. Et qui écrit en hommage, pour tenter de retrouver un sens à la vie, pour préserver la mémoire. Ils sont le plus souvent très émouvants, parfois impressionnants (2). Mais on n'a pas forcément envie de se confronter au sujet, pas une fois de plus du moins tant que dans la vie il nous est épargné.
J'avais d'autant moins envie d'y aller voir a priori que je sors difficilement d'un état de deuil depuis janvier, d'un ami.
Et puis il se trouve que l'auteure parle de son livre et que ses mots sonnent juste. Tout droit. Pas d'enjolivures, pas d'apitoiement, de l'énergie. Je reconnais celle qu'on a lorsque l'on est laminé.e.s mais qu'on a décidé de ne pas se laisser vaincre par l'adversité.
Quelques mots indiquent que la mort a frappé de façon tout à fait inattendue. La plus récente peine que j'éprouve entre dans cette catégorie. Tu vois quelqu'un la veille ou l'avant-veille, il va bien. Accident, assassinat ou mal foudroyant, deux jours après il n'est plus là. Et c'est pour toujours.
D'autres choses sont dites qui me laissent à penser que ce livre n'est pas un de plus sur le deuil ni un de plus sur le mode Heureusement j'ai pu prier.
A quoi se joue la lecture d'un livre plutôt qu'un autre.
(écrit le 16 mai 2015)
Quelques mois plus tard :
Je mesure en recevant le roman parmi nos cargaisons de la rentrée littéraire, à quel point il m'a marquée, aidée, donné de la force. Je suis capable malgré bien d'autres lectures et préoccupations intervenues entre-temps, d'en parler à une collègue comme si je l'avais lu hier.
C'est peu fréquent et gage de sa qualité.
Ce n'est décidément pas un roman de plus sur le deuil : c'est à la fois un hommage à l'enfant disparue (elle y est si vivante qu'on croit l'avoir connue), un témoignage qui peut aider chacun d'entre nous, et un beau livre sur le travail d'écrire, car le récit est enchassé dans le journal de sa rédaction, avec les effets de la peine qui traversent le présent de ce qui fut vécu et le présent de ce qui s'écrit. Par instants, on sourit. Ce livre est dramatique, l'aveuglement des instances médicales est à hurler de rage même sans connaître la victime, mais il n'est pas triste.
Il donne de l'énergie.
Il est de ceux qui marquent une vie de lecteur.
Et c'est avant toute chose une formidable déclaration d'amour parental pour une enfant morte avant d'avoir pu accomplir sa vie.
Faites-vous le cadeau de le lire.
(écrit le 20 août 2015, jour de sa sortie)
(1) Par exemple pour moi la chick litt. Ou les livres en costumes que je prise assez peu, alors que j'adore lire des classiques contemporains des époques qu'ils décrivent.
(2) Je pense en particulier à "L'enfant éternel" de Philippe Forest.
source : maison d'édition et l'auteur qui le présente
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