"L'enfant dans la valise" d'Agnete Friis et Lene Kaberbøl
traduit du danois par Frédéric Fourreau
(Fleuve Noir février 2013 - V.O. 2008)
J'assistais ce week-end avec assiduité aux rencontres du festival "Noir Nordique" qui nous ont avec bonheur balladés entre Maison du Danemark, Institut Finlandais et Centre Culturel Suédois. C'était hier après-midi, bien interrogées par Hubert Artus (1), les dames Agnete Friis et Lene Kaberbøl m'ont immédiatement laissé à penser que ce qu'elles écrivaient risquait fort de me convenir tout à fait. Et puis cette petite hésitation qu'à eu Lene avant d'avouer comme admiration ou influence Maj Sjöwall et Per Wahlöö était le signe qu'elle n'osait pas s'en prétendre digne mais qu'elles devaient l'être.
J'ai hésité à la dépense, me suis laissée tenter, et voilà que malgré un rhume intermittent cruel j'ai passé grâce à elles une excellente fin de soirée - début de nuit - milieu de nuit que la toux gâchait mais le roman sauvait, et matinée et quelques trajets. Voilà un bonheur de roman policier.
Il ne fonctionne pas sur les ressorts d'un crime à résoudre, on sait assez vite ce qu'il en est et la mort intervient assez tard (2), le suspens porte sur le fait qu'on ignore comment les protagonistes vont parvenir à s'en tirer et quels sont les liens entre eux, puisqu'un petit garçon de trois ans, que l'on sait très vite enlevé à sa mère (je ne spoïle pas, ou si peu) se fait trimbaler d'adultes à d'autres, de bienveillants en menaçants, d'un dangereux à un soignant, d'un pays à l'autre.
L'intérêt est aussi dans les motivations qui restent jusqu'à la presque fin palpitantes à comprendre : à part une sorte de garde du corps - tueur à gages - employé de mafias qui est d'une brutalité exemplaire, mais reste néanmoins pourvu d'un rêve domestique enfantin, tous les autres personnages principaux ou secondaires de premier plan sont parfaitement humains, certes plus ou moins sympathiques mais aucun d'eux ne semble un pur salopard, n'ont rien de tueurs fous, on les voit mal délibérément tenter de nuire à leur prochain. Bref, ça pourrait être nous (3). Alors pourquoi diable ce petit garçon a-t-il été enlevé à sa mère ?
Par un concours de circonstances que je ne dévoilerai pas afin de vous en laisser le plaisir de découverte, le petit tombe sous la protection paniquée et perplexe de Nina, une infirmière dévouée aux causes perdues, ex-barroudeuse, revenue de plusieurs guerre et mère de famille négligente car on ne peut être de tous les fronts à la fois. Vous n'imaginez pas comme il est agréable en tant que femme de s'identifier à elle : imparfaite mais courageuse, excellente dans son métier, intelligente mais donnant la priorité à son cœur contre sa raison parfois, se posant beaucoup de questions sans jamais se mettre en avant, mais en pensant perpétuellement à l'intérêt du petit que le sort lui a confié, ainsi qu'à la mère de celui-ci si toutefois elle n'a pas été volontaire pour s'en débarrasser.
On suit en parallèle le difficile chemin de la mère, l'enlèvement ayant eu lieu dans des circontances qui la laissent toute embrouillée et qui l'amènent à douter, mais sa détermination sans faille et son intelligence à elle aussi, sa force dès lors qu'elle aura compris.
La narration est fort bien menée, pas de temps morts seulement quelques temps moins fous bien venus et qui nous font faire connaissance avec les personnages, aucune complaisance sur la violence et le côté gore, disons le minimum syndical, des moments clefs extrêmement bien rendus : une matinée de respiration pris en pleine cavale dans une piscine, un interrogatoire de police, les différents environnements de vie, ce qu'on devine de l'existence des personnes croisées, par moment secourables (4), par moment non (5). Et puis ces éclats de vie quotidienne, ces petites contraintes que les auteurs (ou les scénaristes) oublient trop souvant mais auxquelles nous serions confrontés si nous devions traverser les mêmes épreuves - par exemple l'achat non différable de vêtements pour l'enfant, la nécessité de devoir quand même malgré tout s'alimenter, des téléphones qui se perdent à des mauvais moments, des états physiques qui font qu'on ne réagit pas exactement au mieux de ce qu'on pourrait.
Je n'ai qu'un seul petit reproche à formuler : une sorte d'épilogue qui prépare à une suite et dont on pourrait se passer, qui fait par trop "petit plan marketing en vue d'une trilogie" : c'était si bon, ô patates d'éditeur, que la trilogie forcément qu'on va la lire si vous la produisez, pas la peine de nous prendre pour des gosses.
Et puis l'explication un brin psychologie de comptoir, elle aussi après le dénouement principal, d'un des tics d'une des héroïnes de l'histoire et qui personnellement a atténué mon plaisir : pour une fois qu'on tient un personnage de femme, hétérosexuelle, archi pas nunuche, mauvaise ménagère et peu soucieuse de son apparence, on dirait qu'il faut lui trouver des excuses dans un passé dramatique. Zut alors, j'eusse préféré qu'elle soit comme ça simplement parce que toutes les femmes ne peuvent pas se laisser formater selon les critères que notre époque plaque sur ce qu'elle considère comme la féminité.
Mais bon, le plaisir que le personnage existe reste difficile à nous enlever. Et le père de ses enfants, qui l'aime encore malgré qu'elle met trop de danger dans leur vie quotidienne et ne s'occupe pas bien des petits, au fond le seul assez peu plausible, est si agréable à imaginer.
J'ai beaucoup aimé la subtilité avec laquelle sont traités chacun des personnages passants : des policiers, ma foi, qui font plutôt bien leur boulot (aucun(e) n'est caricatural), des soignants plus ou moins secourables, mais justement comme on pourrait supposer que le seraient en vrain des personnes que les circonstances nous amènent à croiser. Ce roman a une réelle épaisseur, je pense que j'en reverrais des scènes, une piscine, un parvis d'église, une maison trop grande de personnes trop riches, certains intérieurs lituaniens - simples mais bien tenus -.
Voilà : ce week-end aurait pu être de maladie, d'inquiétudes diverses, de chagrins variés, mais grâce à elles j'étais en Lituanie, au Danemark, dans un avion en partance pour la Suisse, avec un petit garçon plutôt sage et pas con. Je savais même faire face à la mort. Et accorder beaucoup de pardon.
Je sens que je vais devenir une fidèle lectrice du duo. Et que plus que jamais va me titiller l'absence de partenaire. En attendant, comme lectrice, au moins j'ai du bonheur.
(1) Ça n'est pas la première fois que je remarque qu'il fait merveille avec les auteurs qui ont de l'humour à revendre. Probablement parce qu'il sait utiliser leurs traits d'esprits pour rebondir vers des directions imprévues et que du coup s'y disent bien davantage de choses que lors des habituelles "tournées de promotion".
(2) En plus c'est celle d'une blonde sexy emprunteuse de maris, catégorie humaine pour laquelle, depuis quelques temps j'éprouve, on se demande pourquoi, assez peu de compassion.
(3) Je pars du principe que les assassins volontaires ne lisent pas ce blog. J'espère ne pas (trop) vous surestimer.
(4) Le portrait d'une jeune prostituée lituanienne, à l'exacte bonne distance qui éloigne toute caricature ou sentimentalisme bon marché.
(5) Au passage une passante donneuse de leçons comme nous en avons toutes croisées (dans des circonstances que je vous espère moins dramatiques) dans une vie.
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