éditions Le Passage
Difficile de parler de ce roman policier sans spoïler, tant il s'y passe pour les lecteurs déjà habitués à l'enquêtrice Mariella De Luca, des événements essentiels. Les autres (lecteurs) y seront moins sensibles puisqu'ils ne peuvent mesurer à quel point dans la vie que lui offraient les épisodes précédents, certains éléments comptaient. Car le roman peut tout à fait être lu par des nouveaux venus, aucun problème il se tient.
On y fait d'entrée la connaissance d'un tueur, lequel parlera en "je" - sauf à un moment donné, dommage -, ce qui le rend d'autant plus troublant. Dès la première page, je ne gâche donc rien, on apprend qu'il s'apprête à commettre l'erreur qui consiste à retourner sur les lieux d'un crime ancien pour lequel il n'avait pas été retrouvé. On apprend vite aussi qu'il est le rejeton d'une famille de Camorristes et que son père, tueur par intérêts financiers considère d'un sale œil ce killer dévoyé. Tout au long du roman les crimes se livreront concurrence, ceux d'assouvissement du tueur psychopathe, ceux par calculs (mais parfois non sans impulsion) des mafieux prudents, soulevant au passage pour le lecteur quelques intéressantes questions (1).
Deux ou trois invraisemblances matérielles m'ont légèrement gênée (entre autre une question de sac de sport, et une de chirurgie esthétique, mais peut-être qu'elles ne tracasseront que moi qui ai trop vu, lu, et déjà vécu et bossé à côté d'une de ces cliniques haut de gamme de chirurgies), et une des péripéties les plus fortes - dommage pour moi - ; pour autant le régal était le même que lors des volumes précédents, même si on a davantage de Capri que de Roma (2). Notations psychologiques toujours subtiles, parfois l'air de rien au détour d'une phrase, style fluide et dialogues qui sonnent vrais (entre De Luca et D'Innocenzo notamment), avec toujours l'humour léger qui affleure pour qui daigne y prêter attention. Curieusement, et parce qu'il y a dans la famille plus cruel et manipulateur que lui, le serial killer malgré ses atrocités millimétrées finirait presque par attirer une forme de compassion. Les pires criminels n'ont parfois jamais directement les mains tâchées de sang.
Voilà donc une bonne lecture pour les amateurs du genre, incontestablement pour les afficionados de Mariella De Luca, qui décidément à l'instar d'un Wallander prend de l'épaisseur humaine à chaque volume, qu'on a donc envie de retrouver comme on le ferait d'une amie (mais qui fait un boulot rudement dangereux, on s'inquiète pour elle, d'ailleurs, entre deux) et qui donne envie de lire déjà une suite, cette enquête-ci dûment bouclée. Elle devient de plus en plus pro du profilage, cette évolution est intéressante.
Comment diable va-t-elle par la suite s'en tirer ?
J'oubliais : le personnage d'Amleto m'a beaucoup touchée. Quelque chose est très bien vu des mécanismes à l'œuvre lorsqu'on est à la base quelqu'un de dévoué, et du mal que qui en abuse peut induire. J'étais déjà une adepte de Mariella et D'Innocenzo, mais rien que pour lui (aussi) je ne regrette pas ma lecture. Pour une fois dans un roman policier, j'ai apprécié la fin.
note à moi-même pour plus tard : éviter de me lancer dans une saga policière, les lecteurs peuvent devenir vraiment chiants ;-)
(1) "Leurs mains peuvent avoir trempé dans le sang jusqu'au coude, ils paraîtront à certains beaucoup moins inhumains que moi, parce que eux, ils ont tué pour l'argent et non pour le plaisir. Mais qui peut m'expliquer pourquoi le profit serait une fin plus humaine que la jouissance ?" (p 87)
(2) J'ai un faible pour les polars clairement géolocalisés (comme ceux de Sjöwall et Wahlöö en Suède, les Hillerman dans les réserves Navajo, les Léo Mallet dans le vieux Paris ...) car je les lis pour y aller - c'est clairement et sans ambiguïté une forme de compensation aux voyages que ma vie trop laborieuse ou trop désargentée ne m'accorde pas -. D'où que je suis toujours un brin déçue lorsqu'ils se délocalisent (3).
(3) Sauf lorsque dans "Les paletots sans manche", Nestor Burma me suit, littéralement, à Carteret à des congés où je m'y rendais. Je vous garantis qu'en tant que lectrice ça fait un drôle d'effet.
source : livre offert, auteure amie, l'aurais de toutes façons choisi
Commentaires