"Le cœur de l'homme" de Jón Kalman Stefȧnsson
traduction de l'Islandais par Éric Boury
(éd. Gallimard - janvier 2013)
Je m'étais jetée dessus à sa sortie puis j'avais ralenti sa lecture, j'avais lu et l'on m'avait dit qu'il s'agissait du dernier gamin, je ne voulais pas le quitter, pas déjà.
Peut-être aussi que je pressentais que la fin allait me décevoir - je la trouve un peu trop jolie, un peu trop On attend la suite, un peu trop romantique ; il n'est pas dit que d'autres lecteurs ou plutôt lectrices n'en aient pas une tout autre perception, je ne spoïle rien -, c'était un peu comme si à l'entraînement de piscine le prof avait concédé une dernière longueur et qu'on n'a pas envie de sortir de l'eau où l'on se sent si bien alors on ralentit, on ralentit.
J'ai lu les deux premiers opus, ils ont trouvé immédiatement leur statut de livres de chevets. Ma table de nuit n'étant pas immense et se trouvant fort encombrée, je suis cruellement sélective.
Je ne sais pas expliquer comment ni pourquoi mais l'auteur parvient à faire que dans l'Islande des temps passés, je me sens chez moi. Je me sens chez moi et le gamin aussi. Sa vie ressemble à la mienne (en réalité, concrètement, plutôt pas du tout, en plus que je suis une dame et que j'ai de l'âge). En fait c'est la perception du monde que nous avons en commun. Et d'être des transfuges assez involontaires, des transfuges par contraintes de circonstances et aptitudes décalées. Je suis peut-être née avec trois dons : le sens de l'orientation, celui de la poésie (et donc des mathématiques qui sont de la poésie logique) et la capacité à boire de l'alcool sans réelle ivresse. Je n'ai heureusement testé cette dernière que passé 20 ans, mais les premières fois elle surprend : lors d'une soirée on fait comme les autres, on les voit partir et on est là plus joyeux qu'à l'ordinaire, puisqu'on fait la fête, mais totalement égal à soi-même (il est beaucoup question d'ivresse dans ce tome-ci, mais si je ne ressens pas, je peux comprendre qu'il en soit ainsi).
Seulement la poésie lue possède pour moi certaines limites. J'y suis sensible, je trouve assez vite qu'elle fait du sur-place. Ou qu'elle a la beauté des statues antiques mais qu'on ne peut pas toucher quand c'est faire l'amour qu'on voudrait.
La trilogie du gamin procède d'un genre que je ne connaissais pas, celui que j'appellerais de la poésie narrative. Une histoire y est. La poésie aussi. La poésie pas seulement au détour du récit, le texte en est tissé, mais qui n'étouffe pas l'histoire qui nous est contée.
J'ai repris le livre l'autre semaine, j'étais en plein chagrin (y suis encore, mais un peu moins), je savais que j'y trouverais refuge. Le gamin rompt ma solitude. J'ai eu un alter ego, loin de Paris, autrefois. On ne comprend pas tout mais on essaie d'aider. On a des deuils, aussi, à soigner. On interroge le monde sans répit. Quand c'est inévitable, on intervient aussi. Mais nos forces ont leurs limites.
J'ai beaucoup pleuré en lisant et relisant. À celui qui m'accompagnait en ce sombre mois d'août ensoleillé et chaud, et que j'inquiétais, j'étais incapable d'expliqué autrement que par la beauté de ce que je lisais. Certaines phrases étaient comme des directs en plein cœur ou plutôt en plein dans la zone du cerveau où se loge ce qui nous rend humains, fragiles et beaux. L'enjeu est de survivre dans un monde brutal même si on ne possède pas la part de violence requise, qu'on a le cœur qui s'emballe vite et parfois pour si peu.
Il est probable que je ne pourrais pas aimer quelqu'un que cette lecture laisserait vaguement goguenard ou pire, indifférent.
source : je ne me la rappelle plus : envoi de Gallimard parce que j'étais libraire ou achat personnel parce que je ne pouvais plus attendre ou l'inverse. De toutes façons ce qu'écrit jusqu'à présent Jón Kalman Stefȧnsson et traduit comme il l'est, me touche de si près qu'il fait partie des rares auteurs (1) pour lesquels je peux sauter deux déjeuners afin de m'offrir ses livres dès leur sortie sans attendre les fins de mois.
(1) S'ils ne l'étaient pas je serais mince comme un fil.
PS : Et à part ça, pour lire, j'ai viré la jaquette, je trouve l'image déplacée - même si, oui, les cheveux roux, une femme, encore qui fait rêver (le narrateur) -
PS' : Et comme toujours je commence par prendre des notes puis je m'aperçois que c'est presque tout l'ouvrage que je suis en train de recopier, alors j'arrête, mais que de citations que je regrette de n'avoir pas partagées.
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