"La grâce des brigands" de Véronique Ovaldé
(éditions de l'Olivier - août 2013)
Pour ces vacances qui n'en étaient pas vraiment j'avais donc soigneusement sélectionné mes lectures, un grand besoin de réconfort et de me changer les idées : alors du divertissement (ah ce bon vieux whodunnit des familles, la petite hâte de le retrouver aux différents moments calmes possibles de la journée) et puis la présence fictive recherchée de ceux que j'aimais (le gamin de Jón ...) puisque l'un que j'aimais dans la réalité s'en était allé.
Je savais que je me sentirais en sécurité auprès des personnages de Véronique Ovaldé. Ils sont à la fois à côté du monde et très concernés par ses aspects concrets, c'est quelque chose qui m'est familier. Je ne m'attendais pas à avoir en parcourant les pages de l'histoire de Maria Cristina Väätonen, d'avoir l'impression à ce point de lire ma vie - si ce n'est que je n'ai rien à me reprocher concernant ma sœur et que ma mère n'a pas sombré dans un délire mystique, elle s'est limitée aux propos "anti-Chinois" (sauf que ne concernant pas les Chinois en vrai, mais bon quand même qu'il y a les gens bien et les autres et qu'on était mieux lorsqu'on était entre nous, n'est-ce pas) et à une certaine pratique de l'escamotage d'informations cruciales (apprendre un moment plus tard que quelque chose qu'il était important que l'on sache, avait eu lieu), et que j'ai jusqu'à présent pu échapper aux agressions physiques, sans doute parce que si je déteste la violence ma jeunesse en banlieue m'a appris si nécessaire et en retour à la pratiquer -. Mais il y a bien eu cette nécessité d'être excellente en classe, de partir, celle d'écrire, la ou les rencontres que l'on croit providentielle(s) jusqu'au jour où l'on prend conscience que ladite providence s'est servie de nous copieusement, et l'importance des amitiés, surtout les plus improbables, mais qui peuvent se révéler les plus fondatrices et stables. L'importance que l'on peut avoir auprès des autres même si l'on n'est là que pour l'impulsion qui aura changé leur existence (en bien), car ensuite le sort, bon ou mauvais d'ailleurs, nous balance ailleurs. Il y a même le sexe qu'un temps on oublie par suite de déceptions lourdes et qu'alors c'est tellement plus simple de se consacrer à travailler. J'espère simplement ne pas finir avant d'avoir fini. J'aimerais tant pouvoir me consacrer à mon travail sans déperdition d'énergie ou de temps vers les contigences nécessaires.
Il y a ce destin commun à tous les déplacés, géogréphiques ou sociaux. Certains détails m'ont fait sourire ou pleurer (Véronique, comment tu sais ?).
D'une façon générale, c'est un livre qui se traverse en souriant, l'humour affleure souvent. Mais le fond de l'air est grave.
La fin est formidable. C'est la première fois depuis, depuis, depuis je ne sais même plus quand où la fin d'un roman non sous-tendue par du prévisible (par exemple la fin du "Sulak" de Jaenada est incontournable, puisque la base en est biographique) me va du fond du cœur.
La structure de la narration sous une simplicité apparente (je ne pense pas que qui que ce soit, à lire, puisse se sentir largué, tant on a l'impression de suivre l'ordre chronologique ... alors que non, pas tant que ça) est un petit bijou de précision intelligente. Et qui permet d'agencer d'une façon très douce au lecteur sensible (1) les moments durs et ceux d'espérance ou de succès. C'est un récit sur coussins d'air : à qui est attentif, tout est déjà dit (aucun drame ne nous prend en traître), mais une surprise aussi.
Il me semble que c'est la première fois qu'un roman de Véronique Ovaldé possède une part d'ancrage géographique réaliste, et j'avoue que j'ai bien aimé (2), d'autant plus qu'elle se trouve nécessaire.
J'ai aimé aussi le côté qu'une de mes amies dirait vintage : on est avant les téléphones portables, on cherche une cabine, il faut des pièces, il en faut assez, lorsqu'on nous met en attente les personnes qui nous suivent doivent elles aussi patienter. D'où peut-être la force de l'identification, exagérée, que j'ai ressentie.
Et comme toujours, le rapport aux objets, lequel n'est pas sans affinité avec celui des personnages de Fiona Gordon et Dominique Abel dans leurs films.
J'ai pris trop de notes pour les rassembler ici, relu aussi une partie du début après avoir terminé ma lecture mais pour le plaisir de saisir les allusions glissées, de savourer en sachant ; pris en photo une maison rose
Je crains que la petite musique de ce roman ne soit trop ténue pour s'imposer face aux fictions plus imposantes, j'espère simplement qu'il saura trouver ses lecteurs. À conseiller sans hésitation à quelqu'un qu'on aime et qui est en chagrin. C'est un livre qui, à sa façon, "prend soin".
(1) Si tu n'es pas un lecteur sensible tu n'as rien à faire avec ce livre entre les mains.
(2) Pour autant ça ne me dérangeait pas que les pays des précédents ouvrages soient de l'ordre d'un imaginaire teinté d'Amérique Latine.
source : rentrée des libraires mais je l'aurais lu par ailleurs de toutes façons.
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