Alors j'ai tant de lectures en retard (dont le fameux Stephen King partant de l'assassinat de JFK), et je m'étais promis de les prendre dans l'ordre, certains s'impatientent et puis voilà que la vie n'est pas riante des masses pour moi en ce moment, alors quand j'ai reçu une épreuve non-corrigée du "Sulak" de Philippe Jaenada (1).
Je ne sais pas si j'ai sauté sur le livre ou ce dernier dans mes mains, mais il aura consolé ma semaine (2).
Comme son titre le laisse supposer, il s'agit d'une biographie de Bruno Sulak, un de ces grands bandits de légende (3) : classe et charisme, séduction et générosité ; le tout terminé dans la fleur de l'âge par une mort aux circonstances mal éclaircies : ce qui est terrible pour lui-même et ses proches, mais permet au mythe de s'installer (4). Si James Dean avait eu le temps de devenir un petit papy replet, aurait-il continué à nous faire rêver ?
L'ouvrage est extrêmement documenté. On sent que l'auteur a creusé à fond son sujet et eu accès à des données et des récits qui n'étaient pas à la portée du premier venu. Seulement plutôt que de nous imposer une somme d'érudition archiviste, il choisit de ne communiquer que ce qui fait sens et nous rendre le gars vivant.
Ce livre déplaira. Il déplaira à ceux qui n'y verront que l'éloge d'un gangter, car on est clairement et sans ambiguïté avec lui, ses potes, sa famille (des gens bien), les femmes de sa vie et son grand amour.
Il déplaira à ceux qui n'aiment pas le style de Philippe Jaenada que son sujet porte, qui s'en trouve déchaîné (parce que voyez vous, il pratique autant les parenthèses, si possible incongrues, que moi les notes de bas de pages, c'est dire). Ceux qui croient qu'en littérature le bon style c'est celui des dictées de CM2 dans les années 60 seront déçus. Comme il se pourrait que ça soit les mêmes que ceux qui pensent qu'un brigand est forcément le méchant, le livre devrait quand même trouver bons nombre de lecteurs. Personnellement, depuis que j'eus jadis en charge certains fichiers informatiques de cadres dirigeants d'une grosse banque, je sais qu'il existe des brigands en col blanc et aux mains propres mais qui vis-à-vis de leurs frères humains et du travail laborieux de qui gagne honnêtement sa vie sont de fameux braqueurs. Certes, ils ne mettent personne physiquement en danger mais ils siphonnent une part importante de ce qui pourrait servir de ressources à l'ensemble du pays, bien davantage qu'ils ne les créent (5).
Il se trouve que moi j'adore, que l'humour me va, que le côté biographie autofictivée me ravit : il nous renvoie à nous-même, ce qu'on faisait en ce temps-là, au même moment, et dit beaucoup du courage dont faisaient preuve les malfrats. Les notations de type "pendant ce temps" et qui évoquent l'époque font merveille, donneront aux plus jeunes un aperçu fort juste du temps d'avant l'internet et les téléphones personnels, et à ceux qui les ont traversés quelques raffraîchissements de mémoire parfois amusants.
Et comme à l'habitude chez ce filou de Philippe, sous des dehors de plaisanter, d'apporter une touche amusée, des réflexions qui méritent qu'on s'y attardent et qui si on y consent, rendent moins cons. L'humour n'est pas de la désinvolture, et chez Jaenada jamais du ricanement, mais notre ultime protection face aux dégueulasseries et autres rudesses de l'existence.
Je n'ai trouvé qu'un seul défaut, mais sachant que l'auteur ne l'est pas, je le soupçonne d'avoir voulu "faire voyou" (un peu), quelques traits d'humour passablement misogyne à l'égard d'une matone antipathique (et de ses culottes (6)), mais que pour moi c'est quand même pas une raison. Bref, par ci par là quelques légères lourdeurs.
J'ai dû ralentir ma lecture sur la fin du bouquin : je savais l'issue fatale et tentais de la retarder, je ne voulais pas quitter Bruno et Thalie (on en vient assez vite à les appeler ainsi, comme si nous partagions un lien d'intimité), l'amitié irréductible entre Bruno et le Steve du "Professionnel" (7).
Rarement j'ai ressenti à ce point, moi qui suis une femme vieillissante fatiguée, combien il devait être difficile d'être un homme et jeune et pêtant de santé, d'énergie dans une société qui nous veut tous bien sages dans des petits casiers.
Entre ceux qu'il aura rendu, comme moi, plus heureux, et ceux qui vont le détester, ce livre ne devrait pas passer trop inaperçu à la rentrée.
(et puis là, j'ai envie de le relire, pour le plaisir de mieux apprécier, car par moment j'ai lu trop vite, tout emballée que j'étais)
(1) Si j'avais écouté un de ses conseils il y a cinq ans déjà, je serais peut-être dans les bras d'un beau mec fabuleux au lieu de me coltiner un très cruel chagrin dont c'est l'épisode 3 (et le dernier, cette fois)
(2) Je reprenais le boulot, impossible de lire d'une traite. Et par ailleurs ceux de mes amis qui ne sont pas déjà en vacances ou qui ne partent pas, se sont fort bien occupés de moi, j'ai donc eu peu de soirées livres (libres) - et peu d'heures de solitude pour désespérer -.
(3) dont même Le Figaro ne parvient pas à dire du mal vraiment, c'est dire.
(4) Je ne spoïle pas, sauf pour les moins de vingt (trente ?) ans : sa mort a fait du bruit, on la trouve encore là.
(5) Je parle de ceux dont la rémunération peut être si excessive qu'elle fait planter certains traitements automatisés : le nombre de zéro étant supérieur d'au moins un cran à celui qui avait été prévu, pourtant assez large. Ou de ceux pour qui on proposait une prime de compensation des avantages en nature incluant l'augmentation d'impôts induite par la prime elle-même. Bref, pas le cadre moyen.
(6) Bon, d'accord, je suis un peu touchy au sujet des culottes en ce moment, j'en ai deux qui ont mystérieusement disparu à l'hôtel où je traversais mes vacances de cinéphiles, et comme ... enfin non, rien.
(7) Du coup j'ai envie de revoir le film, c'est malin. D'ailleurs le livre donne une fichtre envie d'en relire d'autres et non des moindres (Duras, Le Clezio ...), ne serait-ce que pour réparer la cruauté du sort qui a fait que Bruno Sulak est mort en cours de lecture de l'un d'eux (Soyez prévenus : si l'un de vous m'assassine alors que je suis en cours de chapitre, mon fantôme viendra vous tuer ; je suis beaucoup moins tolérante pour ça que pour les chagrins d'amour qu'on peut m'infliger).
source : un SP mais lu par plaisir personnel
PS : Même les remerciements sont chouettes, dans ce bouquin. Chaleureux et si loin du traditionnel exercice de diplomatie.
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