... tellement c'est réussi)
Alors nous avions lu à la librairie, "La vérité sur l'affaire Harry Quebert" vers lequel j'étais allée par conscience professionnelle et confiance en les goûts littéraires de mon patron et sa femme. Je m'étais finalement trouvée emballée et embarquée comme presque tous ses lecteurs, du moins ceux qui ont su conserver intacts en eux ce plaisir de lecture des premières années, quand on ne veut pas refermer les pages alors qu'on nous appelle À table et que d'être en retard on se fait disputer. Si la seule littérature qui tient grâce à vos yeux est celle de Flaubert, au style primordial, une formidable marquetterie, lisez Flaubert. Pour ma part j'en tiens pour les deux, les plaisirs sont différents, je saisis tout bonheur dès que la grâce y est.
Ayant donc ressenti en me laissant emporter par "Harry" qu'il y avait quelqu'un, je me suis mise en quête d'autres ouvrages de cet auteur dont je n'avais alors guère entendu parlé.
Un livre précédent existait, "Les derniers jours de nos pères". Chic alors ! Et puis je vois le résumé : zut alors, guerre et espionage. À peu près tout ce que je ne goûte guère, sauf à ce qu'il s'agisse d'une dentelle d'Échenoz (1), d'une œuvre qui flirte avec la poésie (2), ou de documents directs (3). D'ailleurs la couverture, adaptée au sujet, me donnait simplement envie d'aller lire ailleurs.
Mais quand même, puisque la magie du quotidien transcendé (4) avait fonctionné avec Harry et ce un brin pataud de Marcus, pourquoi pas avec ces drôles d'espions, engagés volontaires en Angleterre au début de la guerre et alors que la France (et pas seulement) était envahie et capitulante, et qu'on avait sélectionnés pour faire un peu autre chose que simple soldat en l'attente d'un débarquement.
J'aime à apprendre et connaissais fort peu cet aspect-là des choses, je me suis donc lancée aussi pour m'instruire.
Et puis voilà, ça a marché. J'ai même "participé" à quelques parachutages et autres opérations guerrières sans m'ennuyer, repensé à leur entraînement dans mes courses à pied du dimanche - où chercher en soi les ressources mentales pour ne pas flancher -, méprisé comme eux les jours de mauvais temps.
Le livre n'a pas l'ampleur ni la maestria de "La vérité sur l'affaire Harry Quebert", tout débutant se doit d'abord de commencer, et c'est d'ailleurs ce que j'aime, lorsqu'on sent le potentiel à venir, je rêve de devenir éditrice découvreuse et qui ensuite passerait la main (5), mais déjà tout y est de ce qui ne demande qu'à grandir après.
Et cette capacité de camper une scène, de déclencher le film intérieur chez le lecteur, de faire que ce dernier n'a pas envie d'éteindre le projecteur même si c'est l'heure de faire autre chose, d'offrir des personnages qui tiennent compagnie et flottent dans nos pensées un moment après. Pendant longtemps j'ai lu pour tenir le coup dans une vie grise et laborieuse, alors ces qualités-là restent pour moi le sommet.
Ce bonheur aussi de croiser chez un auteur des personnages féminins qui ne sont ni de viles séductrices ni les potiches nunuches, qui n'ont peur de rien ou pas plus que les hommes, et la présence récurrente et ô combien réconfortante de celui qui n'a l'air de rien, et qui n'est pas forcément sympathique mais au moment crucial sait faire ce qu'il fallait. C'est un humanisme que certains méprisent mais qui fait tant de bien.
Et enfin l'humour, discret, qu'on peut goûter ou ignorer, selon notre équipement personnel plus ou moins sophistiqué en second degré.
"Assis dans l'aube, ils fumaient, contemplant le ciel noir qui dansait sur l'Angleterre. Et Pal récitait sa poésie. Caché dans la nuit, il se souvenait de son père.
Sur la butte où ils se trouvaient, les mégots rougeoyaient dans l'obscurité : ils avaient pris l'habitude de venir fumer aux premières heures du matin. Ils fumaient pour se tenir compagnie, ils fumaient pour ne pas dépérir, ils fumaient pour ne pas oublier qu'ils étaient des Hommes." (éditions De Fallois - 2012)
(1) "14" paru depuis (Minuit)
(2) "Avant le silence des forêts" de Lilyane Beaucquel qui est du même niveau que "14" mais dont on parle (hélas) peu.
(3) Les saisissants carnets de Louis Bartas (Y aurait-il quelqu'un pour rééditer ?) ; ou plus récemment "Fusillé vivant" d'Odette Hardy Hermery et qui relate l'histoire de François Watrelot rescapé d'une condamnation "pour l'exemple" et mort au combat mais plus tard.
(4) par une bonne lecture, comme il peut l'être aussi par un bon film au ciné, ou un concert pour ceux que la musique peut intensément toucher
(5) Non que je ne sache apprécier les auteurs qui ont atteint leur plénitude parfaite, le Pennac du "Journal d'un corps" (du grand art, rien à dire, mais justement tant d'art), ou Olivier Adam des "Lisières" - que feras-tu après ? -, mais le côté, Chic alors, la relève arrive, la transmission se fait est ce qui me fait avant tout avancer.
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