Il est curieux qu'en cette rentrée deux livres m'aient joué peu ou prou le même tour : entamé par conscience professionnelle ou parce que quelqu'un en l'appréciation de qui j'ai confiance me l'avait chaudement recommandé, j'ai longtemps avancé dans les pages en me demandant, Bon, d'accord, oui mais, après ? et Qu'est-ce qu'ils peuvent bien lui trouver ? jusqu'à ce qu'à un tournant, à l'emplacement d'une lointaine page, soudain quelque chose prenne et me surprenne (agréablement) et que j'en finisse du coup la lecture d'un seul élan.
C'est le cas avec ce "Un héros" de Félicité Herzog.
Je l'ai ouvert parce que les clients le réclament et que certains requièrent mon avis ; or dotée de ce terrible handicap social qui consiste à être incapable de mentir - j'ai dû être Sikh dans une vie d'avant ou d'après -, je ne sais parler que de ce que j'ai lu.
Alors au travail.
On sent que le travail d'édition a été bien fait, le livre ne manque d'emblée pas d'élégance, je m'efforce de faire abstraction de la prestation calamiteuse de l'auteur lors de la présentation aux libraires, quelques mois plus tôt, et qui, effet du trac ou froideur extrême, m'avait dissuadée d'ouvrir son ouvrage.
J'avance dans la lecture, entre deux clients, comme je le fais aux saisons calmes et pour les livres lus par devoir. Compte tenu des personnes croisées et des époques traversées, ce roman ne manque pas totalement d'intérêt. Le fait que le père ne soit pas le héros qu'on croyait ne m'étonne guère : en fait j'ai dû lire jadis quelques témoignages de rescapés de l'expédition et dont il ressortait même si c'était dit avec pudeur et volonté d'atténuation, que le héros aurait pu être un meurtrier tant sa folie de vouloir réussir à tout prix les avait mis en danger. Le comportement vis-à-vis des femmes de celui-ci me rappelle hélas quelque(s) homme(s) que je connais, l'élégance de certaines phrases pour le dire me fait sourire, cette lecture n'est pas entièrement une perte de temps.
Je n'en déplore pas moins une incapacité absolue à une ouverture sur les autres, tout semble fait pour mettre en avant ce que le cas possède de particulier. Or j'aime ce qui dans le témoignage de quelqu'un permet aux autres de comprendre (peut-être) une part de leur propres peines.
Dans ce livre-ci, cela arrive soudain : vers plus de la moitié de l'ouvrage, alors qu'est évoquée la dérive extrême-droitière du héros vieillissant, puis la folie du frère qu'on pressentait depuis longtemps, il n'en était pas fait mystère. Et là soudain, de fortes pages pour décrire tant la déchéance d'un pays réduit à chercher pour certains de ses concitoyens dans la haine de l'autre une pseudo-solution à une décadence qu'aisni eux-mêmes incarnent, que le désarroi des proches d'un jeune adulte qui perd la connexion rationnelle au monde, n'y voyant plus que persécution - et devenant dangereux, violent -. Et l'on songe alors au procès Breivik, ce débat qu'il a ouvert entre ce qui est folie et ce qui est déviant, la liberté de penser qu'une démocratie doit prendre en compte, la nécessaire protection d'autrui quand celle-ci conduit les plus faibles à la haine, la peur panique, l'envie de (se) tuer.
On découvre alors de belles pages sur la force d'un pays comme la France, sa diversité.
Une étape de sa vie mène aussi la narratrice vers New-York et ses emplois financiers de haut vol. Vu de l'intérieur, ce qui est rare, ceux qui écrivent sont rarement ceux qui frétillent face à ces manipulations monétaires et ont le cœur battant devant les hauts de bilans, c'est à lire passionnant. Et la façon dont alors le travail hape, comme on peut s'y noyer afin d'oublier, ne plus se rejoindre qu'aux dimanche ou lorsqu'on va courir dans Central Park le matin.
La fin du roman retombe dans l'histoire strictement familiale et quelque chose se ternit. Ma capacité de compassion pour les trop bien nés est assez limitée. Et le côté confessions me rend vite mal à l'aise. Ai-je à savoir tout ça ?
De la rentré ce sera donc le livre qui m'aura le plus surpris, des pages que je relirai peut-être, presque toutes placées dans le 3ème tiers, mais qui laisse présager d'autres ouvrages possibles, une fois évacuée la part de drame personnel - celle hélas pour laquelle les clients achètent l'ouvrage -.
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