Tout avait commencé par une bibliothécaire, Françoise, du Crédit Lyonnais. Un jour que je venais rendre des bouquins vite fait parce qu'il fallait remonter bosser, elle m'en avait d'autorité enregistré un nouveau sur ma carte.
C'était un petit bouquin vert avec une photo de ticket de caisse sur la couverture.
Elle me dit, C'est le fils d'un collègue, c'est son premier roman. C'est un écrivain, un vrai.
Le fils en question s'appelait Olivier Adam, et son nom ne me disait absolument rien, pas même au sujet d'un monsieur Adam père que j'eusse pu éventuellement dans l'entreprise avoir croisé.
Ce garçon parlait de gens comme moi, ceux des petites grandes banlieues, pas les toutes pourites ni les fort confortables, non, celles de rien, celles qu'on n'en cause jamais, celles des pavillons tous pareils et des mini-jardins - en option la balançoire et le chien -. S'y ajoutait une curieuse coïncidence d'avec ma Normandie, puisqu'il était question de Portbail, et pas qu'un peu. Le thème principal, que deviennent ceux qui restent quand l'un s'en va -je fais à la serpe, là -, joint à celui de la fratrie me parlait. En ces années je sentais, pour des raisons bien moins dramatiques, mais néanmoins, que ma soeur dont j'avais été proche s'éloignait. Le style était un peu trop haletant à mon goût, j'avais la sensation de boxer plus que de lire, mais oui, j'étais d'accord avec Françoise, Il y avait quelqu'un. Et comme il était jeune, ça promettait bien. On était en l'an 2000, je me ressentais encore de la grande fatigue des informaticiens (1).
"A l'ouest" faisait montre d'une plus grande ampleur. On y retrouvait l'absence. La désespérance des semi-villes de périphéries, les vies sans grand-chose, sans non plus de graves dangers si l'on acceptait l'absence d'horizons. Mais cependant.
"Poids léger" explorait l'une des pistes possibles pour s'en sortir malgré tout : le sport. Là aussi, j'étais "chez moi", car si je n'ai jamais cru pouvoir faire du sport de haut niveau puisque ma santé était fragile, j'ai toujours eu recours au sport pour ne pas perdre pied. Parfois même au sens littéral.
Les choses ont commencé à se préciser en 2004, avec le recueil de nouvelles "Passer l'hiver" dans lequel l'une d'elle mettait en scène une employée de banque et sa hiérarchie dans un bureau d'une tour de la Défense (2). Bien au delà d'une simple identification à un personnage, c'était comme si j'avais raconté un de mes sales moments professionnels à Olivier et qu'il en avait fait un récit. Si je l'avais rencontré juste après ma lecture, j'aurais pu lui demander, Mais comment tu as su, je ne te l'avais pas raconté ?
"Falaises" évoquait la mort d'un parent. Je venais de perdre mon père. Et toujours ces personnages qui sans être totalement désintégrés, souffraient d'être bloqués dans des périphéries, de la ville ou de l'existence et dans lesquels sans le moindre effort je me reconnaissais.
À partir de là, le style s'apaise, on n'est plus essoufflé en lisant, même s'il n'y a toujours aucun gras et j'adore ça ; j'ai tendance à vouloir virer dans ce que je lis, les mots surnuméraires. Chez Olivier Adam, jamais plus de deux ou trois par livre, et plutôt des adverbes.
"A l'abri de rien" sorti alors que je me débattais dans les conséquences insoupçonnées et insupportables de mon engagement militant pour la libération de Florence Aubenas et Hussein Hanoun, m'a donné l'impression d'être une transposition de ma propre (més)aventure : lorsque l'engagement nous happe et nous détache d'un quotidien qu'on subissait mais que l'entourage appréciait.
"Des vents contraires" publié l'année suivante relate les conséquences pour les proches d'une brutale et inexpliquée disparition. Il se trouve que j'étais en plein désarroi d'avoir vu se volatiliser mon amie intime, l'âme soeur, la rencontre d'une vie, si on a cette chance inouïe. Là aussi les circonstances du roman étaient un cran plus dramatiques, il s'agissait d'une épouse et mère qui disparaît complètement, quand de l'amie envolée je pouvais savoir par connaissances communes comment elle se portait - mais hélas jamais pourquoi elle s'était retirée -.Il n'empêche que dans les sentiments et même certaines des sensations éprouvées par celui qui se trouvait délaissé et désemparé, je retrouvais les miennes. Mon désarroi. Et dans sa volonté de préserver ses enfants, un reflet de mes propres efforts. Ce livre m'a beaucoup aidée, ne serait-ce qu'à me sentir moins atrocement seule, et j'en reste infiniment reconnaissante à Olivier Adam de l'avoir non seulement écrit mais en ce moment précis.
"Le coeur régulier" est arrivé à point pour accompagner mon abandon du travail alimentaire qui me minait en m'alimentant (depuis plus de 20 ans, ce qui n'est pas si simple). Sarah a quitté sa vie bien rangée alors que je larguais enfin les amarres de la part professionnelle de la mienne afin d'aller à la recherche de l'étrange héritage laissé dans ma vie par l'amie disparue. C'est peu dire que je comprenais Sarah, rien n'est plus facile que de s'identifier à ce qu'on est.
Arrivent "Les lisières" et un changement de maison d'édition lié au départ d'Alix Penent de L'Olivier vers Flammarion. Et c'est le retour de celui qui a quitté ses lieux d'enfance et son milieu d'origine, mais que rappellent sur place les difficultés des parents vieillissants et l'occasion de mesurer combien il en est désormais étranger tout en étant constitué par ce qui s'y est joué. Depuis environ une année et quelques bribes que mon changement professionnel s'est trouvé confirmé, depuis quelques mois que je figure officiellement dans une petite publication collective en papier, c'est bien évidemment le sujet qui me préoccupe, à peine après les amours. Et j'ai, presque mots pour mots, vécu certaines conversations qui sont reprises ici d'avec les camarades d'enfance et de jeunesse. Le narrateur, Paul Steiner, étant doté d'un frère de droite, la similitude est d'autant plus frappante, sans parler d'un des vieux parents qui a viré xénophobe et de l'antisémitisme rampant des milieux français populaires, et de tous ces gens qui lui racontent leur vie. Mes seules très légères déceptions tient à quelque coquetterie un brin pamphlétaire (page 197 et à nouveau quelques pages après), le terme le "la Maladie" employé avec cette majuscule et à répétition, qui me semble une emphase, une charge un iota trop Je règle mes comptes envers un éditeur bourgeois (peu n'en sont pas), un style qui à force d'être plus fluide en devient presque aseptisé, et un ressort du récit qui repose sur la découverte de photos, lequelle, c'est plus fort que moi (3), me donne la sensation d'avoir été rajouté afin d'intensifier la tension narrative. Pour le reste, tout le reste j'ai été embarquée comme rarement, passant une nuit à lire ce qui ne m'était guère arrivé depuis fort longtemps.
Les notations sociales sont si justes et précises, si bien captées (hélas car elles sont tristes et offrent peu d'espoir) de l'air du temps que j'en ai presque ressenti ce que j'appelle le syndrome de saturation des lecteurs de Raymond - lequel concernait plutôt style et psychologie des personnages, mais n'empêche -. Ça fait du bien, infiniment de bien de lire ça quand on en vient, de ces lisières, quand on en est.
Je ne saurais jamais comment remercier assez celui que je considère désormais comme mon petit frère bosseur et surdoué et qui d'un roman l'autre raconte l'histoire de notre famille et la mienne en particulier.
PS : Dis, Olivier, quand écriras-tu une belle histoire d'amour pas immédiatement malheureuse, que je puisse enfin souffler ?
(1) auxquels on avait demandé plein d'heures sup pour remettre à niveau plein de vieux programmes et bases de données aux années sur deux chiffres, sans toujours compenser financièrement l'effort fait.
(2) Si ça tombe en vérifiant je vais constater que non, que c'est ma mémoire qui a transposé, du moins pour le lieu.
(3) Intellectuellement, c'est plutôt convainquant : le narrateur découvre un élément de sa vie qu'il ignorait, et qui explique très bien ses propres failles. Trop bien ?
PS : une belle critique par Macha Séry dans Le Monde
J'ai le même sentiment quand je lis O.Adam, à chaque fois je me demande comment il fait pour si bien connaître les hommes (et de tout âge en plus). Ses romans pour ados ("On ira voir la mer", "la messe anniversaire" notamment) m'ont fait réellement revivre de moment de mon adolescence, des sentiments ressentis alors, des pensées émises, et j'avoue que ça m'a bluffée cette capacité, ce pouvoir presque, qu'il a à mettre des mots sur le quotidien et sur l'humain. Bref, tout ça pour dire qu'il faut vraiment que je me procure "Les lisières".
Rédigé par : Sofia | 02 septembre 2012 à 14:31