"Une partie de chasse" d'Agnès Desarthe (ed. de l'Olivier)
Depuis le "Flush" de Virginia Woolf et dans une moindre mesure le "Niki" de Thibor Dhéry, j'ai du mal à me laisser prendre par une narration entière (1) écrite du point de vue de l'animal. C'est le défaut de Virginia : dans chacun des domaines ou des façons qu'elle a abordés elle a placé la barre un peu haut pour les suivants, devenant pour la littérature ce qu'est Sergueï Boubka pour le saut à la perche.
Mais certaines sont courageuses et Agnès Desarthe n'a pas hésité à nous poser un lapin. Avec une sage prudence, le personnage principal reste un humain et c'est le fors intérieur de ce dernier qui s'exprime. Il n'empêche que le lapin, quoiqu'assez abimé par une bavure de chasse (?), communique tant qu'il le peut.
Et voilà que ça fonctionne, que le charme opère. Que l'humain et ses perplexités, ses hésitations, ses imperfection, devient plus fort à l'écoute du petit mammifère qu'il a glissé dans sa gibecière.
Si l'on ne s'attend pas au chef d'œuvre du siècle, ce livre, cette sorte de conte moderne, tout de forêt, de virilités blessées et d'une tempête si parfaitement évoquée qu'on se lève pour fermer la fenêtre de la pièce où l'on est, possède un charme, une capacité d'envoûtement, une force de parenthèse.
On le referme ensuite et la vie de chaque jour reprend ses droits.
Reste que Tristan, l'homme doux que l'on mène à chasser, tient compagnie encore quelque temps. Et le lapin s'estompe, mais presque lentement.
C'est un très beau livre, aussi, sur la solitude de qui se trouve, jeune, amené à assumer pour de plus âgés défaillants. S'en remet-on jamais vraiment ? Peut-on parvenir ensuite à retrouver le rang des adultes qui enfants ont su être insouciants ?
(1) Dans "Les femmes du braconnier" de Claude Pujade-Renaud, certains passages le son, mais de façon fort judicieuse pas l'ensemble de la narration
note à voix basse : Qu'il s'agisse de romans jeunesse ou pour les plus grand l'écriture d'Agnès Desarthe m'enchante, style limpide mais travaillé, humour qui affleure dès que le récit le permet, c'est un peu ce que j'aimerais ("quand je serai grande") être capable d'atteindre (dans l'idéal). D'où vient que je reste toujours un pas en dehors, jamais entièrement embarquée, émue. Un peu comme si j'étais avec une bonne amie à partager d'excellents moments, mais sans jamais faire partie de sa vie vraiment. Serait-ce la trop grande perfection de la maîtrise (art du récit, finesse des psychologies, qualité des personnages) qui me tiendrait à distance ?
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