1 - Côté papier

Une douce agonie (potentielle)

J'ai (re)découvert (1) des éditions Cadex grâce à Dominique Fabre (et ses monstres) récemment. Depuis au gré d'avoir (ou hélas pas et donc attendre) un peu d'argent j'avance tranquillement dans leur catalogue, non sans y trouver des pépites qui me vont.

Voilà donc "Circé ou Une agonie d'insecte" de Christian Garcin, un texte bref de ceux comme j'aime, qui frisent le quotidien avec l'orée du fantastique dans un style fluide et sans gras (2).

Et un début comme ça me régale (la suite aussi je veux pas dire, mais disons que j'aime ce genre de sujet) : alors qu'il est dans la rue, un peu triste d'une rupture, une femme aborde un homme en lui parlant du bon vieux temps.

Seulement voilà, il a beau chercher au fin fond de sa mémoire, il ne la reconnaît pas.

Difficile d'en dire plus sans déflorer l'histoire et la grâce qu'il y a à découvrir pas à pas ce qu'il en est (ou pas), savourer l'humour léger, accompagner sa perplexité.

N'hésitez pas à y aller, c'est simplement 10 €

(réclame désintéressée, je ne crois pas connaître autrement qu'à travers mes commandes ceux et celles qui travaillent là).

(1) le "re" parce que mes années d"'Usine" furent parfois si bousculées et je me cramponnais tant aux livres pour tenter de survivre malgré ce job qui me pompait, qu'il m'en reste des lambeaux d'amnésie. Je crois que je n'ai jamais cessé de lire de la poésie. Ça me paraît donc bizarre de n'avoir pas croisé cette maison avant.

(2) pas un mot dont on pourrait se passer ou plutôt si : un (et un seul) sur une cinquantaine de pages

provenance : achat personnel par choix

Parfois les prix font plaisir

Éternelle Poulidor, en amour surtout, je n'ai que peu de goût pour les prix, les classements, et la compétition. En fait j'en avais déjà peu du temps de mes (larges) victoires, quand enfant puis adolescente je trustais la tête de classe sans trop savoir pourquoi (ni comment).

Seulement ce monde est monde, les places sont chères, et si l'on veut pouvoir espérer lire ceux qu'on aime longtemps (ceux dont on aime le travail) il faut qu'ils gagnent de temps en temps afin de conserver les moyens de poursuivre.

Je me suis donc très réjouie d'apprendre en quelques jours successivement :

- que "l'Attente du soir" de Tatiana Arfel avait obtenu le prix Alain-Fournier ;

- que "Le quai de Ouistreham" de Florence Aubenas a obtenu le prix Joseph Kessel, même que c'était aux Étonnants voyageurs et que ça m'a valu une bouffée de bonheur qui m'a rappelé Le plus beau jour de ma vie ; 

- qu'au même endroit, Martin Page a enfin attrapé une récompense pour son travail (2) alors qu'il semblait lui aussi abonné aux qu'on aime beaucoup mais qui vient juste après. Et j'ai eu la chance grâce à Carole Martinez (1) d'assister à l'une des plus joyeuses tables-rondes qu'il m'ait été donné de voir [photo] ;

- que "Ce que je sais de Véra Candida" de Véronique Ovaldé vient de remporter le prix des lectrices de Elle.

Pendant que nous y sommes, et dans l'espoir que ne soit pas oublié un des meilleurs livres du début de l'année 2010, toute envie de voter pour "Les femmes du braconnier" de Claude Pujade-Renaud qui se trouve en lice pour la dernière sélection du prix Orange des internautes serait la bienvenue.

C'est par ici.

(une vidéo par là)

(1) Ma phrase est foireuse, qui donne l'impression qu'il s'agissait d'un privilège réservé, je voulais simplement dire que c'était elle qui m'avait signalé le moment et que le programme du festival étant tellement dense et intéressant, je serais probablement sans cela passé à côté.

(2) Le prix Ouest-France Étonnants Voyageurs.

"Les femmes du braconnier" de Claude Pujade-Renaud (entretien)

Découvrez "Les Femmes du braconnier" de Claude Pujade-Renaud sur Culturebox !

En étant moche

... je suis donc gentille.

Et reposante.

Vous ne pourriez pas de temps en temps me marquer l'un ou l'autre mais surtout l'un,

que vous en êtes reconnaissants ?

   

" [...] "Ça fait mal", a gémi Alioune tout près de mon oreille, et je ne l'ai jamais oublié. De face les danseuses semblaient quasi immobiles, ondulant à peine des hanches et des épaules, mais de dos c'est de façon ahurissante que se démenait leur arrière-train [...]. Oui, je comprends maintenant : ça leur fait mal aux hommes, pourtant maîtres du monde, de ne pouvoir maîtriser une partie si cruciale de leur anatomie ; ça les énerve qu'elle puisse se mettre au garde-à-vous alors qu'ils n'ont rien demandé, ou refuser d'esquisser le moindre mouvement quand ils en ont le plus urgemment besoin. D'où leur tendance à se cramponner aux choses qui demeurent rigides de façon fiable : fusils-mitrailleurs, médailles, attaché-case, honneurs, doctrines. Ils n'aiment pas sentir leur chair télécommandée par la chair féminine et ça leur fait peur, leur peur les mets en colère et les effets de cette colère sont partout palpables. Incapables de contrôler leur propre corps ils contrôlent celui des femmes en le déclarant tabou."

Nancy Huston in "Infrarouge"

(éditions Actes Sud, page 83)

L'humour du métier

J'avais lu le premier opus (1), surprise un peu comme pour Les Bartavelles du père de Marcel Pagnol, de me retrouver intéressée à un sujet qui a priori ne m'aurait pas accroché.

C'est sans doute dans ces cas-là qu'on perçoit le mieux le talent d'un écrivain.La voilà qui joue les récidivistes, et pour le mieux pour nous. Qu'on le veuille ou non, que ça nous plaise ou pas (2), Bénédicte nous embarque à fond la moto ou la caisse, dans des moments de la vie de flic, cocasses (si, si, il y en a), émouvants, révoltants ou percutants.

L'équilibre y est entre les temps de rire ou ceux poignants, afin d'autoriser la survie du lecteur et qu'il puisse continuer.

Et je suis très sensible à l'humour noir et tendre des mots tels qu'ils sont dits.

Est-ce un signe de l'air du temps ? Est-ce ma lecture personnelle qui est différente désormais (3) ? Plus que la fois précédente, j'y ai perçu que désormais et semble-t-il où qu'on soit (les télécoms, le train, la police, voire même la banque pour ceux capables d'aimer la finance ...), l'amour du métier était devenu un handicap pour l'exercer. Que tous ceux et toutes celles qui mettaient un sens dans ce qu'ils faisaient étaient peu à peu pousser vers la sortie, quand ce n'était pas pire.

Plus précisément que dans l'ouvrage précédent, on voit se profiler celui qui "fait du chiffre", des ordres venus d'en haut et qui monopolisent des forces importantes pour le confort exclusif de quelques-uns, et ceux qui en oublient à force leurs petites familles au point qu'elles les oublient. 

Est-ce le signe d'une voix qui se fait jour et, tout comptes bus, abordera d'autres thèmes ?, les moments de poésie de la vie - celle que j'aime et qui me tient - ont cette fois davantage de place, qu'il s'agisse de longer une clôture ou d'aller voir les avions, puis de n'en plus trouver le chemin.

À les lire je me suis régalée.

Et je me dis que si l'auteure ne se sent plus grand-chose si elle n'est plus flic (4), ce plus grand-chose est au moins égal à écrivain. Ce qui n'est pas rien.

(1) "Flic" de Bénédicte Desforges

(2) Certains chapitres sont de lecture déconseillée aux femmes enceintes ou aux personnes vacillantes, moi je dirais. Mais bon je suis de ces doux dingues qu'une lecture peut rendre malade physiquement (n'est-ce pas Hubert ?)

(3) Puisqu'entre temps mon propre carcan était devenu tel que je m'en suis libérée.

(4) ce qu'une phrase du livre dit, mais que je me garderai bien de citer in-extenso : sur place c'est tellement mieux.