"Pays des ombres" de Stig Dalager,
traduit du Danois par Catherine Lise Dubost, éditions Gaïa
(pour ceux qui n'ont pas lu le livre, léger risque de dévoilage dans ce qui suit ; je n'ai pas su faire autrement : un premier élément de suspens s'achève page 100 sur près de 400)
J'étais heureuse d'une occasion de découvrir enfin l'œuvre de Stig Dalager. Un auteur si connu et prolifique en son pays devait nécessairement avoir quelque chose à m'apprendre, quel que soit le sujet qu'il avait cette fois-ci choisi.
En l'occurrence un avocat, pourquoi ai-je failli écrire jeune et beau ?, Jon Bæksgaard, travaillant en 2001 à New-York et compagnon d'une (jolie ?) jeune femme d'origine israëlienne, se trouve mêlé à ce à quoi on peut s'attendre en ces lieux cette année-là et poursuit un homme dangereux et une sale affaire jusqu'à Jérusalem puis Hébron.
Seulement voilà qu'en ces mois-ci, j'ai lu quelques romans somptueux, la grande classe littéraire, le haut du panier de mes goûts personnels ; "Des hommes" de Laurent Mauvignier, à "L'Annonce" de Marie-Hélène Lafon en passant par "Jan Karski" de Yannick Haenel, sans parler vers la poésie de "Ce que je sais de Vera Candida" de Véronique Ovaldé, "L'énigme du retour" de Dany Laferrière, et vers le divertissement "Le club des incorrigibles optimistes" de Jean-Michel Guenassia jusqu'au très intime de livres de quelqu'un que j'aime que j'apprends à découvrir pas à pas (1). Enfin côté romans policiers ou noir la très belle "Infante du rock" de Romain Slocombe.
Bref, la concurrence était plus que rude. Elle a été (presque) fatale au "Pays des ombres" dans lequel malgré l'entrée trépidante - on est dans les tours en flamme du World Trade Center en ce 11 septembre 2001 qu'aucun contemporain ne pourra oublier, Jon parviendra-t-il à sauver Eve ? -, je ne suis pas parvenue, moi, à réellement entrer.
J'ai plusieurs fois reposé le livre avec une facilité de mauvais augure (2). L'ai repris sans déplaisir, mais avec un calme déconcertant eût égard aux fermes péripéties auxquelles les protagonistes étaient soumis.
C'est du bon travail, du très bon travail. Le passage dans les tours, malgré ma réticence devant quelque chose que je considère comme une facilité dans le choix de l'épisode (3), est remarquable, pendant quelques pages, j'y ai cru.
De même que page 40 et les suivantes on peut se délecter d'une séquence New-York s'éveille presque aussi réussie que l'est le début de "Love me tonight" pour Paris.
Qu'aussi l'ambiance de pays en guerre civile rendue dans la 3ème partie est d'une justesse formidable (4), la façon dont on s'y déplace, par successions d'accélérations imprévisibles et d'attentes difficiles d'une rencontre à l'autre puisque tant est disloqué, désorganisé, détruit.
Et que les symptômes post traumatiques dont souffrent les personnages principaux sont extrêmement bien rendus. Ces comportements ou manifestations physiques qui nous échappent et qui nous prennent dans ces cas-là (5).
Qu'enfin le personnage de Walcut, médecin qui soigne Eve, la compagne de Jon est si bien campé qu'on le voit travailler.
Alors d'où vient que ça ne fonctionne pas, ou pas tout à fait ? Plusieurs jours après avoir achevé ma lecture, je continue à me poser la question.
Peut-être que c'est le manque de dimensions des personnages féminins, on les voit du point de vue de Jon qui se met peu à leur place, même s'il n'est pas sans amour ou attirance à leur égard. Peut-être que je peine à croire à l'homme au cœur partagé qui prend néanmoins ce risque inouï d'aller tenter de sauver l'une des femmes de sa vie. Tant d'héroïsme à 20 ans m'aurait fait rêver, à bientôt 50 me laisse sceptique. Peut-être que je ne crois pas non plus au fait qu'un homme ait pu entrer et remonter les étages de la seconde tour quand la première avait déjà été atteinte et toutes alertes données.
Sans doute aussi, une certaine irrégularité de niveau dans l'écriture, comme c'est le cas parfois chez Douglas Kennedy, on oscille entre du factuel efficace mais sans grâce et de beaux passages littéraires. Je serais curieuse de la V.O. si j'étais capable de lire le Danois.
Je n'ai pas su comprendre les sortes de didascalies philosophiques qui interviennent ici ou là, parsemées de citations certes intéressantes, mais qui parle alors, et pourquoi ? Bien que non dépourvus de qualités intrinsèques, les passages oniriques m'ont également semblé inutiles. Ils nuisent au rythme général.
Au bout du compte, un livre que je recommanderai probablement pour son humanisme, puisqu'il est beaucoup question de faire la part des choses dans plusieurs conflits complexes, du terrorisme islamiste à la guerre perpétuelle au Moyen Orient, mais que je ne saurais ranger parmi les inoubliables, que je resterai heureuse d'avoir lu, cependant sans chagrin quand je l'oublierai.
Et un auteur intéressant vers lequel si j'ai le temps je retournerai.
livre lu dans le cadre de l'opération Masse Critique
(1) l'ambiguïté de la construction est voulue.
(2) En même temps c'est reposant de lire un livre qui vous laisse raisonnable. Et favorable au bon état ménager d'une maison.
(3) un peu comme LA poursuite en voiture dans un film d'action.
(4) Je ne l'ai pas vécu, je l'avoue, mais pour avoir connu un pays en post-coup d'état, me suppose quelques bonnes bases pour évaluer. Peut-être est-ce présomptueux.
(5) Je n'ai pas connu les tours en flamme, je le confesse également. Mais un état de choc qui met dans les mains de la mort, si. Et des mois pour s'en remettre par après.
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