De façon absolue et sans conditions
billet publié dans le cadre des Bonheurs du Jour
C'est au moment de partir, alors que je venais de préparer un de ces objets que l'on emporte lorsque l'on va en Normandie dans la petite maison qui est sobrement équipée. À côté du casque audio que je saisissais, j'ai vu réapparaître un porte-CD, celui que j'emmenais en vacances du temps d'avant.
Je ne saurais trop dire avant quoi. Avant que la voiture achetée (été 2004) ne soit pourvue d'un lecteur dans lequel je glissais une sélection préparée (laquelle est restée figée peu ou prou en 2008-2009). Avant les mp3 et que j'écoute plutôt de la musique à l'ordi via l'appli qui y était pré-installée.
Je n'avais pas conscience d'avoir égaré cet objet de rangement ni ce qu'il contenait. Il avait dû disparaître de ma vue en même temps que son usage. C'était une sélection de vacances ; certes établie selon mes goûts mais choisie aussi pour convenir à l'ensemble de ma petite famille, je ne risquais pas d'y retrouver quoi que ce fût du gars mort aujourd'hui (1) pourvu d'un âge qui me stupéfie.
Au calme de la petite maison réhabitée, une fois effectuées les petites activités domestiques de retrouvailles avec les lieux, le rituel salut à la mer en moins car la nuit tombe tôt, j'ai entrepris de refaire connaissance avec mes anciens goûts musicaux.
La sorte de trousse contenait vingt-neuf CD, vingt-quatre soigneusement glissés deux par deux dans des compartiments pochettes, les autres ajoutés empilés au bord. Preuve que je comptais les y laisser peu de temps (2), sans doute seulement celui du trajet de retour. Mais quelque chose avait dû survenir ou la reprise du travail être trop rude et je les avais négligés.
Le plus récent serait une messe en si de Bach, novembre 2006, peut-être ajouté lors d'un dernier voyage parce qu'à la chorale dont je faisais alors partie on le chantait.
La plupart datent des années 2003 à 2005, probablement la sélection était celle qui accompagna les congés d'août 2005, juste après le comité de soutien à Florence Aubenas et Hussein Hanoun, et l'hôtel des blogueurs. Je devais être un peu triste d'être sans nouvelles de ma plus proche amie, mais la savais prise par un tournage en Arménie. Je me disais aussi qu'il me fallait récupérer de la fatigue des premiers mois de l'année, cette double-vie étanche entre mon job alimentaire et le comité que j'avais menée, puis la période un peu folle de l'Hôtel, qui m'avait certes sauvée de la dépressurisation d'après un engagement fort juste avant une période où pour cause d'absences estivales, on ne revoit plus les gens que l'on a côtoyés si fort pendant un bon moment, mais qui m'avait épuisée ; pour suivre ce que les autres personnages entreprenaient, et comme dans mon boulot je n'avais pas la liberté d'aller consulter l'internet hors quelques utilisations para-professionnelles, je lisais la nuit. J'avais donc durant le mois de juillet peu dormi.
L'idée c'était à la rentrée de trouver enfin un rythme équilibré entre écriture et travail salarié, ce qui devait être possible, grâce au mi-temps que j'avais depuis mars obtenu. Le moins que l'on puisse dire c'est que ça ne s'était pas exactement passé comme prévu et que dix ans plus tard j'en suis revenue au même point, l'assurance d'un revenu en moins. À part la nécessité d'écrire que l'adversité et le contexte général défavorable ont transformée en rage de vaincre, je ne suis plus la même personne que la femme encore jeune de cet été-là, et à plus d'un titre. En revanche, en redécouvrant les disques, je souriais en songeant aux amis que je venais alors à peine de rencontrer et qui sont depuis sont devenus des proches. Sans eux je n'aurais pas pu faire face aux épreuves successives et si variées - à croire qu'un dieu de nos Olympes a craint que je puisse m'ennuyer -, je ne sais pas comment j'aurais fait.
J'ai dû faire des recherches pour retrouver certains CD, un "toute la musique des mots" hors commerce de l'édition Bouquins devenu mystérieux, une certaine Lynne Dawson dont le nom ne m'évoquait plus rien, le second CD d'une version précise de Rigoletto (et du coup une inquiétude légitime sur le sort du 1er, pourquoi les aurais-je séparés ?), deux volumes sur trois d'une compilation de musiques classiques dans les films, un CD correspondant au travail pour mes cours de chant (3), Figure 8 d'Elliott Smith dont à part le nom et une impression musicale favorable, j'avais tout oublié, mort incluse (4), et puis ce surprenant Encre fort intéressant à l'écoute et dont je ne savais plus rien. En (re?)découvrant qu'il est originaire de ma Normandie, je me prends à supposer que le disque avait peut-être été acheté ici, peut-être à Coutances dans la grande boutique de produits culturels et papeterie (du moins l'était-elle alors) du centre ville où j'effectuais à l'occasion quelques achats de découvertes.
Ce CD et celui d'Elliott Smith me laissent une sensation étrange, comme si quelqu'un les avaient déposés à mon insu parmi un lot dont les autres titres me sont encore familiers. Ainsi ce bel ouvrage de William Sheller, souvenir d'un concert de ce printemps 2005, j'écoutais tout en pensant à Florence Aubenas tout le temps, à la fois très présente et très absente au concert. passant un excellent moment mais le cœur étreint.
J'ai aimé cette chance qui m'est donnée de rejoindre celle que j'étais, une façon après bien des tourmentes de se dire, Ça y est, c'est bon, reprenons. Où est-ce qu'on en était ? J'aime les goûts de cette personne que j'étais il y a dix ans, même si quelques brins de variété italienne me font sourire à présent (5). En ces périodes d'afflux de réfugiés qui ont tout quitté pour sauver leur peau ou leur avenir, d'amis qui ont tout perdu dans des incendies (6), je mesure le privilège que c'est pour soutenir la mémoire et se reconstituer de disposer de ses archives personnelles et déjà vieux objets.
Et puis tout simplement : j'aime écouter ces disques. Belle petite sélection.
(1) Lemmy Kilmister de Motörhead.
(2) Je suis généralement soigneuse des choses fragiles. Autant l'apparence m'importe relativement peu (tant pis si à le lire un livre que je n'ai pas à rendre s'abime d'usage, il reste lisible), autant les risques de ne plus pouvoir "faire usage" me rendent prudente. En l'occurrence qu'un CD entassé se retrouve avec des plages sautantes.
(3) abandonnés par la force des choses, quand j'ai quitté "l'Usine" dont mon inscription dépendait.
(4) En octobre 2003 je connaissais à peine les blogs, moi-même ne pratiquais pas, dommage, sinon j'aurais su si j'avais su. Ou si j'étais tout simplement passée au travers de l'information. Ou si j'ai découvert Figure 8 nettement plus tard, par exemple grâce à KMS
(5) C'était pour soigner le mal du pays, à l'époque je supposais que ce ne serait l'affaire que de quelques années de n'avoir plus assez d'argent pour y aller. Douce illusion.
(6) On s'en rappellera de cette année 2015.
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Dans une journée plutôt sympathique mais qui ne présentait pas non plus d'extrême réjouissance, fors le très vague espoir d'un emploi dans un lieu de rêve - mais pas de réponse pour l'instant -, j'ai cru un moment n'avoir aucun bonheur du jour à présenter. J'avais pourtant délibérément tenté ma chance en rentrant par Satin Lazare histoire de voir si Gabriel Sadoun y jouait. Deux bons pianistes occupaient la place dont un qui sembla oublier qu'il avait des gants et ne les a enlevés qu'au bout d'un moment, mais ils récitaient leur partition, ça n'est pas pareil.
C'est en arrivant, donc après la danse, en fin d'après midi à la maison que dans la boîte à lettres j'ai trouvé un colis de Noël, des gâteaux secs, des chocolats, un envoi familial que je n'attendais pas.
Billet publié dans le cadre des Bonheurs du Jour
Les bonheurs du jour, il y en eu deux ; j'hésite un peu. Finalement ça sera celui du matin peut-être un tantinet moins courant.
Alors que nous faisions pour notre petit entraînement, le tour de l'île de la Jatte en courant, j'ai entendu comme un parfum d'Écosse. D'où j'étais l'homme était à peine devinable, une petite silhouette éloignée. Mais sa cornemuse portait. Il en jouait, et plutôt bien, sous le pont de Courbevoie, probablement afin de ne déranger aucun voisin. Il répétait.
Nous sommes restés à écouter différentes reprises de deux morceaux, puis avons repris notre parcours. Trop éloignés sans doute pour qu'il nous aperçoive.
Les autres coureurs du dimanche n'ont pas modifié leur allure. Le son sans doute ne leur sied guère. Tant pis pour eux.
[Quand je ne suis pas seule à courir, je prends rarement mon téléphone : pas de photo]
Billet publié dans le cadre des Bonheurs du Jour
Passer voir une amie alors à son travail, mais l'on pouvait (un peu) (à voix basse) se parler, croiser une de ses collègues, un moment hors du temps. Récapituler les duretés de 2015, mais il arrive un stade où ça fait du bien d'en parler afin de ne pas se laisser dévorer par la solitude de la peine.
Ce petit bonheur a même un corollaire : s'être retrouvée dans la salle où se trouve (se trouvait ?) un livre avec des photos de ce bien-aimé qui a fait si brutalement défaut et n'y avoir pas songé. Si ce n'est à présent pour me dire qu'il est trop tard et que je ne résoudrai jamais l'énigme que ces images constituaient : à la fin d'un roman qui n'était pas ouvertement autobiographique, une sorte d'album photos de famille, déposé là de façon totalement #WTF, lequel faisait la place belle à celle qui fut sa femme et la mère de ses deux cadets - quand on connaît la suite de leur histoire c'est à désespérer de tout amour -. Cet album inattendu comportait les premiers indices du fait que l'homme m'avait menti, mais ce n'est que longtemps plus tard que je l'avais compris. Le second bonheur du jour aura donc été de sentir que tout cela commence à dater et mes préoccupations à en être éloignées. Il faut dire que cette année 2015 aura mis le paquet. Les états d'âme romantique(s) n'ont plus franchement eu le droit de citer.
Billet publié dans le cadre des Bonheurs du Jour
Que raconter d'un jour si calme et qui comme (trop) souvent dans ce genre de cas aura si vite filé, tout occupé à la récupération des fatigues.
Le bonheur du jour aura été une petite satisfaction : celle d'être parvenue à une étape précise du tri de photos. J'en prends quotidiennement et si je ne m'astreins pas à l'effectuer sinon au jour le jour du moins à la semaine la semaine, je sature le disque de mon ordinateur. En ce jour de Noël passé au calme, en 3/4 de petite famille, l'un dormant, l'autre jouant, j'ai donc pu remettre au clair une partie des clichés du printemps. Tri, sauvegardes et classement.
Le chagrin et l'épuisement m'ont privée d'une grande partie de cette année 2015 qui s'achève à présent. Retrouver les images et les organiser me permet d'en sauver ce qui le méritait, de constater que contrairement au souvenir global que j'en ai : des attentats, de l'épuisement dans un travail mal considéré, des attentats, il y aura eu de bons moments, de la chaleur, de l'affection, quelques splendides réconforts.
Et même des sortes de gags dont cette éclipse ratée (à Paris du moins : ciel nuageux bien épais) pour laquelle (presque) tout le monde s'était frénétiquement équipé. C'était le 20 mars 2015 et ma photo date du 19. J'en avais perdu le souvenir.
Billet publié dans le cadre des Bonheurs du Jour
Je venais de quitter une amie pour regagner mon logis, nous avions passé un bon moment ; nos vies sont trop dans le combat quotidien pour que nous puissions nous voir souvent et chaque fois nous le déplorons. Le trajet était simple a priori : ligne 2 puis 13, un seul changement, place Clichy.
Puis j'ai obéi au conseil intérieur qui me pressait de passer par la ligne E. J'ai cru qu'il s'agissait d'en profiter pour faire escale aux toilettes (1), afin d'éviter d'emprunter la 13 sous la menace d'une envie devenant pressante. Et ce d'autant plus que j'ai trouvé la menue monnaie qui me permettait d'en payer l'accès (2).
J'aurais pu croire aussi qu'il s'agissait de vérifier la durée du trajet par la E en vue d'un entretien d'embauche que j'avais les jours suivants. En toute franchise : à ce moment précis, je n'y pensais point.
C'est en remontant gare Satin Lazare de la E vers les voies de surface, qu'en entendant quelques notes, j'ai pigé le pourquoi du crochet, Gabriel Sadoun jouait.
De tous les pianistes des pianos libres des gares - quelle bonne idée -, il est le seul pour l'instant à être capable de me faire manquer un rendez-vous, négliger l'urgent, arriver en retard où je devais aller (on passe rarement dans une gare pour y flâner, du moins je ne fais pas partie des privilégiés qui pourraient).
Il a passé la place à d'autres, puis il a tenté avec l'un d'eux un quatre-mains, mais l'autre, pourtant pas mauvais, n'a pas duré. Alors il est reparti dans une de ses impros où les citations jaillissent en surprises amusées.
(Je ne sais pas comment le joindre pour lui demander son accord pour l'extrait, hélas coupé ; il s'en va toujours très vite après un bref salut et remerciement pour les applaudissements)
Au delà du bonheur de l'écouter, il y a le réconfort de voir que la foule de Paris, pourtant pressée, est suffisamment connaisseuse pour percevoir qu'il y a quelqu'un, même sans savoir qui il est (3). Quand je vois des personnes qui s'arrêtent malgré leurs lourdes valises et des enfants dans les bras, lesquels ne mouftent pas, je reprends espoir que les capacités d'écoute et de poésie n'aient pas été entièrement érodées par ce monde marchand.
(1) Celles gare du nord dans la partie qui relie La Chapelle à la gare Grande Ligne sont neuves et bien tenues. Leur défaut : le prix (0,70 €)
(2) Note pour les mois à venir : vivre sans monnaie afin de réduire toutes dépenses est efficace mais il faut songer à conserver le minimum vital pour un accès à des toilettes publiques ou à celles d'un café.
(3) Tout ça me rappelle il y a deux ans Natalie Dessay. Et une fois un violoniste virtuose ligne 9 que nous fûmes plusieurs à suivre malgré nos arrêts dépassés et à soudain descendre là où il descendit.
151225 1923
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