J'avais déjà lu des articles au sujet des difficultés rencontrées, et de l'asphyxie progressive de la Maison des Écrivains, qui du temps où il était financé par le CNL (Centre National du Livre), participait pleinement de la vie littéraire en France, permettait à nombre d'écrivains de gagner de quoi vivre, au travers des résidences, des festivals et des manifestations littéraires.
Il y avait aussi les rencontres avec les classes dans les établissements scolaires.
Et globalement, pour les professionnels de la littérature, un centre de documentation et des dispositifs d’aides.
J'ai le souvenir d'avoir participé en tant que libraire, à un jury de prix, mais qui avait été perturbé par la pandémie : je revois nos réunions, intéressantes et passionnées, à l'adresse du XVIème arrondissement, puis les suivantes en visio, comme ça pouvait.
Le souvenir aussi de nombreuses conférences le mercredi midi à l'auditorium du Petit Palais à Paris, et combien c'était passionnant à chaque fois. Du temps où je travaillais à Livre Sterling aux alentours de 2010, j'avais négocié avec le patron d'arriver un peu plus tard prendre mon service (1) les mercredi où avaient lieu ces rendez-vous. Ce furent pour moi des sortes de sessions de formation, souvent lorsque les personnes invitées ou évoquées m'étaient connues, je savais l'essentiel, mais dans d'autres cas, en l'absence de formation littéraire (2) de ma part, il s'agissait de belles découvertes.
Souvenirs aussi de moments heureux, lors du boire un coup ou manger un morceau, ensemble, ensuite, et d'une session particulièrement émouvante pour Daniele Del Giudice, alors encore en vie, mais déjà privé de sa mémoire. Ses amis des livres mais pas seulement étaient là et qui témoignaient et qui lisaient, qui exprimaient quelque chose comme Tu n'es déjà plus tout à fait là, mais nous on ne te lâche pas. C'était beau.
S'il n'y avait eu que cette rencontre-là, je serais déjà éperdue de reconnaissance.
Alors l'annonce de cette fermeture me laisse triste. D'autant plus triste que le mécanisme qui s'est appliqué, est déjà à l'œuvre pour bien d'autres entités, tout ce qui relève du bien commun, de la culture, de l'éducation à n'être pas que des éléments de production et de consommation.
Un dispositif ou un établissement existe depuis souvent de longues années, et qui fonctionne mais adossé à un ministère ou à une autre entité laquelle dépend elle-même beaucoup d'argent public. À un moment donné, un décret ou autre modification de l'organisation détache la structure de terrain de son financeur initial au profit d'entités territoriales, selon le grand mouvement général de défausse de l'État depuis des décennies. Désormais et depuis les années 80, rien ne doit échapper aux lois du marché, y compris ce qui ne relève pas du secteur marchand : les services, les choses indispensables à la vie quotidienne et pour lesquelles on n'a pas le choix (3).
Les entités territoriales, outre qu'elles ont d'autres priorités que de financer ce qui peut sembler non indispensable, et l'est de toute évidence moins immédiatement et concrètement qu'un équipement, par exemple, sont généralement peu enclines à maintenir le niveau d'engagement des financements précédents.
Le ministère dont dépend l'entité, pendant ce temps ce désengage : elle ne dépend plus de lui, mais relève du territorial.
Un jour, l'établissement se retrouve avec une insuffisance de ressources telle qu'il ne peut plus mener à bien ses missions, sans parler de l'organisation interne qui devient chaotique (4). Ensuite il est facile de décider de ne plus subventionner du tout, ou presque plus, cette entité qui ne remplit plus son rôle, rencontre des problèmes en interne, et ne rend plus les services attendus.
Le même fonctionnement prévaut peu ou prou au sein de grandes entreprises du secteur marchand : on crée une structure un domaine d'intervention avec les moyens qu'il faut et même si le nouveau département donne toutes satisfactions, si pour une raison de stratégie entrepreneuriale (5) il devient ne serait-ce que moins prioritaire, on lui diminue ses moyens de fonctionnement, qui le désorganisent, il donne moins satisfaction, et la décision de laisser tomber ou de le rendre marginal est prise, parce que forcément, il marche moins bien.
On le voit aussi à l'œuvre entre municipalités et associations locales, lesquelles parviennent parfois à résister car le bénévolat est leur socle et les cotisations des adhérents un apport précieux.
Dans tout les cas, personne n'a pris la décision de fermeture, chacun des décideurs peut se défausser sur quelqu'un d'autre, chaque entité de l'organisation sur une autre. Mais il n'y a plus d'argent, on ne peut plus payer personne. Alors on ferme, liquidation judiciaire.
Concernant le cas de la Maison des Écrivains, des articles chez Actualitté, permettent de retracer ce qui s'est passé.
Et plus particulièrement le plus récent (30.05.2025).
L'appauvrissement collectif est flagrant en cette période, et pas seulement en France, c'est une triste nouvelle de plus.
Pensées pour les personnes qui perdent leur travail et pour les écrivains qui auraient dû être payés et pour celles et ceux que les projets, par la force des choses abandonnés, concernaient.
Je garderai les bons souvenirs, et le sentiment de gratitude, tant que je le pourrai.
(1) Je travaillais à temps partiel, 14:00 => 20:00
(2) Mes études furent en école d'ingénieurs.
(3) À ce titre les privatisations de transports en communs ou de réseaux d'eau potable sont toujours au bout du compte néfastes pour les usagers : ils n'ont le choix ni de leur trajet (ou avec peu de latitude d'en changer) ni de leur localisation, et sont donc obligés de s'adapter à un pseudo choix restreint.
À la différence de quelque chose qu'on achète et pour lequel on est réellement libre de choisir une marque ou une autre, un modèle ou un autre, un intermédiaire d'achat ou un autre, avec pour seule contrainte le budget que l'on y met.
C'est encore plus flagrant pour ce qui relève du soin.
(4) Ne serait-ce qu'en raison de suppressions de postes induites et de surcharge et d'épuisement des personnes restantes.
(5) Et souvent alors même qu'il est rentable.