Profitant d'un moment de répit avant des festivités familiales (1), je rattrape mon retard de lecture des blogs amis et lis ce billet chez Yann Orpheus :
Déphasé
Tant d'échos en moi, je me sens totalement déphasée de cette époque de grand retour en arrière vers des idées ultra-conservatrices que l'on croyait disparues, tout en fonçant tête baissé vers ce qui est considéré comme des progrès non sans danger.
Concernant les IA, j'avais grâce à Prospero et une rencontre organisée en septembre 2005 sous mon impulsion (2) mesuré ce qui nous attendait, le merveilleux du truc (3), comme ses dangers. Et les chercheurs universitaires qui nous présentaient le projet, préféraient alors rester discrets, ils entrevoyaient avec lucidité les bouleversements que de tels plus qu'outils induiraient dans la société, les risques de chômage massif (4) et l'un d'eux avait dit en substance : de toutes façons il y a tellement d'argent à se faire qu'à un moment donné, des Américains ou d'autres ne pourront pas se retenir d'une mise massive sur le marché, nous pourrons juste dire que nous étions les pionniers.
Il me semble qu'ils étaient un peu dans la position des physiciens du siècle précédent quand ils ont compris qu'ils détenaient les connaissances permettant de créer des bombes nucléaires. Ça peut potentiellement tout dévaster.
Cette démonstration m'avait aidée à prendre la décision de quitter mon job en informatique bancaire, auquel je ne voyais guère d'avenir, puisque typiquement j'étais à un petit niveau que la machine remplacerait aisément, et de me reconvertir comme libraire, puisqu'en boutique aimaient encore aller les gens et rencontrer d'autres humains pour demander conseil et raconter leur vie (5). Mais ça aussi, c'est en passe d'être menacé, on commande en ligne, et ce d'autant plus qu'avec toujours plus de recherche de productivité, on mène des vies dans lesquelles on n'a plus le temps de flâner.
Mon job actuel sera sans doute d'ici quelques années IA remplacé, ne resteront confiés à des humains que les cas les plus épineux. Je suis encore plus à l'écoute des clients dont les tracas me sont confiés, que je ne l'étais car la différence pour l'instant est encore là. En tant qu'humain on peut comprendre que ce qui demande résolution est avant tout un sentiment de panique ou de perdre pied, et pas tant la résolution mécanique d'un dysfonctionnement.
Un camarade de triathlon nous a fait spontanément une petite démo après un entraînement, afin de dépanner l'un d'entre nous qui cherchait une réponse à un blocage administratif et effectivement dès lors que l'on maîtrise l'art du prompt, c'était puissant. Pour la préparation de cours également, m'ont-ils confirmé.
Je n'ai pas souhaité entrer dans un débat sur le fait que l'intérêt d'un travail à faire pouvait résider dans l'étape de recherches, ce qu'on pouvait y apprendre, ce qu'on pouvait apprendre avec un pas de côté (ce que l'IA ne fera pas), les joies de la sérendipité, puisqu'ils étaient en critères Gain de temps et même gain de lisibilité de la présentation.
Eux étaient au moins conscients des risques de résultats erronés et de la supervision nécessaire. Et en vieux briscards, ils avaient les connaissances suffisantes pour déceler les erreurs, les incohérences, et rectifier. Mais déjà ici ou là, comme le souligne Yann Orpheus, les résultats de boulots d'IA sont pris au pied de la lettre.
Nous voilà comme au moment de la révolution industrielle lorsque les concepteurs de machine outils se réjouissaient d'apporter soulagement aux humains chargés de pénibles travaux à longueur de journées éreintantes. Vous gagnerez du temps, ça sera moins risqué.
Mais le temps libéré n'a pas servi à accorder davantage de loisirs aux humains, il a servi à des gains de productivités et à les aliéner encore davantage. Les contraintes n'en étaient pas moins fortes (6), elles s'étaient déplacées.
On n'a pas fini d'en baver.
nb : Le livre dont je parle et qui mérite d'être lu est "La révolte des rats" de François Muratet.
(1) Le Fiston fête ses 30 ans, somptueusement, et nous y convie en plus de ses ami·e·s
(2) J'avais mis un auteur et ses concepteurs en relation, dit à l'un Hé mais ce que tu as écrit comme truc d'anticipation, des gens bossent dessus, et aux autres, Bonjour, je viens de lire un roman on dirait que votre création en est l'un des personnages. Après ce sont eux et les médiathécaires qui avaient œuvrés, de toutes façons à l'époque j'étais en mode Métro boulot marmots dodo, mais ils avaient eu l'élégance de me convier au rendez-vous.
(3) C'était déjà bluffant à l'époque, tant la réponse quasi instantanée à une demande de recherche documentaire sur un sujet économique, que l'écriture d'un texte "à la manière de", que le côté conversationnel à une époque où les chat bots n'étaient pas encore développés.
(4) Il faudrait moins de monde pour entretenir les machines et superviser les résultats que pour faire le boulot (entre autre de recherches documentaires et de rédaction et de réponses dans des organisations à des clients) actuellement accompli par des humains. Et puis : au bout d'un moment, s'il n'y avait plus de débutants nulle part puisque les IA ferait les jobs de premiers rangs, comment formerait-on des personnes capables de supervision et qui ne seraient pas passées par des années d'être confrontées aux problèmes, aux questions ?
(5) Entre temps on en est déjà aux étapes où des humains mélangent une vraie personne avec une IA (cf. ce billet chez Matoo), donc finalement même ça n'est pas à l'abri.
(6) ou ne l'étaient que physiquement